Les Larmes Célestes - Le Pouvoir du Soleil

Les Larmes Célestes - Le Pouvoir du Soleil

ArcInferta


1. Chapitre 1

Un nouvel éclair fendit le ciel noir de la mer. Depuis vingt bonnes minutes, l’équipage de l’Aiguille de la Sirène se débattait contre l’orage.

Ce n’était pas la première tempête que Milia affrontait avec ses frères de la côte, pourtant, elle avait toujours cette boule de peur qui lui comprimait le ventre. Elle savait qu’une seule erreur pouvait lui coûter la vie.

Elle s’accrochait tant bien que mal à la rambarde du pont. Ses muscles avaient déjà été mis à rude épreuve lorsqu’avec les gabiers, elle était montée au mât d’artimon pour détacher les voiles les plus fragiles, enclines à se déchirer.

Sur le pont, les simples matelots avaient formé une chaîne jusque dans la cale pour ranger tout ce que l’orage pouvait faire tomber à l’eau. Sur le château du navire, le capitaine et son quartier-maître aboyaient leurs ordres à moitié couverts par le grondement du tonnerre.

Heureusement pour eux, ils avaient senti la tempête approcher. La tiédeur de l’air marin avait été le premier signe annonciateur de ce qui se préparait. Lorsque la vigie, postée en haut du mât, vit le ciel s’obscurcir juste devant eux, il était déjà trop tard. Ils n’avaient plus qu’à s’accrocher et prier que Rhomieu ne vienne pas les chercher. Dieu des mers et des océans, les pirates mettaient leur vie entre ses mains chaque fois qu’ils s’aventuraient en pleine mer.

Milia s'agrippa férocement au bois. Elle tremblait de tous ses membres alors que les vagues de la mer Sombre venaient balloter le navire dans un sens et que les risées du vent le faisaient se coucher dans l’autre.

Elle eut une pensée pour leur timonier qui ne pouvait s’attacher à rien sauf à la barre du navire qu’il dirigeait à la place du capitaine sous ce déluge. Il les avait déjà sortis de plus gros orage, elle avait confiance en lui pour les emmener loin de celui-ci.

Le navire tenait le coup. Les pirates devaient en faire de même. Ils devaient rester sur le qui-vive. Rien ne devait être laissé au hasard tant qu’ils seraient dans la noirceur de l’orage. Il en allait de leur survie à tous.

Les remous du bâtiment rendaient malade les plus jeunes marins, qui régurgitaient leur repas rapidement emportés par les vagues. Milia se sentait chanceuse d’avoir dépassé ce cap. Elle agissait comme les plus vieux qui s’accrochaient dur comme fer à ce qu’ils avaient sous la main pour ne pas passer par-dessus bord.

Plus ils restaient dans la tempête, plus les vagues prenaient de l’ampleur. Elles atteignaient bien trop souvent la hauteur du navire au goût de la pirate. Elles s’engouffraient alors sur le pont ne laissant personne sauf sur son passage. Milia eut plusieurs fois peur qu’elles n’arrivent à lui faucher les jambes. Dans ces moments, elle s’agrippait un peu plus fort, plantait un peu plus ses pieds dans le sol.

L’eau commençait à stagner et alourdissait le bateau, le rendant plus stable et plus rigide face à la mer. Elle constituait cependant un réel danger qui les entraînait un peu plus vers le fond à chaque nouveau rouleau.

Milia vit ses frères commencer à perdre l’équilibre les uns après les autres sous la force du courant qui se jouait sous leurs pieds. Les plus costauds réussirent à en repêcher plusieurs, qui tombèrent à côté d’eux. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas tous les sauver. Les tempêtes étaient de véritables cataclysmes pour les aventuriers des mers qu’ils étaient.

La pirate détourna le regard et retint sa respiration, cherchant à oublier la boule qui lui comprimait la gorge quand deux de ses frères plongèrent dans les tréfonds de la mer.

Seule femme à bord de ce vaisseau, et du haut de ses vingt-quatre ans Milia n’était ni la plus robuste, ni la plus forte, pourtant elle tenait bon.

Ses longs cheveux roux, retenus par son habituel bandeau, se collaient sur son visage et lui brouillaient la vue. Elle ne souhaitait qu’une chose, un moment de répit pour se les sortir des yeux, asséchés par le sel de la mer.

Elle savait qu’elle ne devait en aucun cas lâcher sa prise sinon elle finirait, elle aussi, à l’eau rapidement broyée contre le bois du navire qu’elle affectionnait tant, sur lequel elle avait passé tant de temps.

C’est ses muscles bandés autour du bois qu’elle tenait, ses pieds ancrés sur le pont et les yeux fermés pour ne plus voir la mort emporter ceux qu’elle considérait comme sa famille qu’elle l’entendit. Elle entendit quelqu’un crier.

Elle chercha autour d’elle les yeux noyés de sels et reconnut le quartier-maître. Il se tenait sur le château non loin du capitaine et du timonier qui n’étaient pas trop de deux pour tenir la barre. Elle ne comprenait pas ce qu’il disait, elle ne l’entendait pas. Ses mots étaient emportés par le vent alors que l’orage couvrait sa voix. Elle finit par deviner le problème en suivant sa main pointée vers le ciel.

— La voile !

Le cordage du grand-mât avait perdu de sa rigidité et la toile qui y était accrochée s’envolait en tous sens, soumise au bon vouloir du vent. Si personne ne la resserrait rapidement alors le navire ne pourrait plus se mouvoir et finirait par chavirer avec tout l’équipage à son bord.

Personne à part elle ne semblait avoir remarqué le danger qui se présentait. Elle chercha du regard quelqu’un, n’importe qui, qui aurait entendu le quartier-maître qui s’époumonait pour attirer l’attention. Ils étaient tous trop occupés à rester debout, attachés au navire.

— Nom de Rhomieu ! Jura-t-elle entre ses dents.

Elle avait déjà dû affronter le vent avant que la tempête ne soit sur eux pour défaire les voiles, et voilà qu’elle devait y remonter pour en carguer une nouvelle.

Elle prit son courage à deux mains et lâcha prise, priant pour qu’aucune vague ne vienne la faire tomber. Elle n’était pas si loin du grand mât pourtant l’atteindre fut déjà une épreuve. L’eau stagnante sur le pont ralentissait son avancée et les roulis du bateau manquaient de la déséquilibrer à chaque pas qu’elle faisait.

La montée du mât fut encore plus périlleuse, ses vêtements, trempés par l’eau, la gênaient alors que le vent lui fouettait le visage et la lacérait de ses rafales aiguisées. Elle assurait chacune de ses prises sur l’échelle de fortune alors que ses bras tremblaient autant que ses jambes. Si d’ordinaire, elle était une excellente grimpeuse, la plus rapide de l’équipage, cette fois-ci, en pleine tempête, elle était lente.

Arrivée au niveau de la vergue, elle se laissa glisser à plat ventre le long de la pièce en bois. Les cordages qui avaient tenu bon lui griffaient le ventre et obstruaient son avancée. Le vent faillit avoir raison d’elle. Elle resserra ses cuisses autour du bois et rampa, déchirant son pantalon déjà fragilisé par la tempête.

Elle arriva finalement à celui qui avait lâché et tira dessus pour le ramener contre elle et le rattacher. La voile alourdie par l’eau et les rafales qui l’arrachaient de plus en plus rendait son geste bien futile. Elle avait beau tracter de toutes ses forces, allant même jusqu’à l’attraper à deux mains, rendant son équilibre précaire, elle n’arrivait à rien.

Milia se retrouvait à une vingtaine de mètres au-dessus du pont à subir le ballotage du grand mât en plus de celui du bateau. Elle avait l’estomac retourné et la nausée commençait à lui monter. Elle qui n’avait jamais connu le mal de mer en eau calme, se sentait nauséeuse sous le tangage. Elle revivait ses premières tempêtes.

Malgré les haut-le-cœur et son corps qui ne cessait de trembler de tout son long, elle tenait toujours la voile entre ses mains rougies par le froid et les frottements.

Elle devait rattacher cette toile quoi qu’il lui en coûtait, il en allait de la vie de ses frères des mers. Elle essaya de se calmer, calmer les palpitations de son cœur, calmer sa respiration haletante, calmer ses grelottements incessants. Elle prit une grande bouffée d’air et dans un dernier effort, elle tira sur la corde. Elle y mit toutes ses forces et toute sa détermination. Pendant un instant elle crut y parvenir, elle crut voir la voile revenir vers elle, elle crut trouver la force mais son espoir fut de courte durée. Rien n’y faisait, la toile ne voulait pas lui obéir et continuer de s’envoler.

Elle sentit un corps, aussi trempé que le sien, s’allonger sur elle et prendre le cordage dans sa main englobant celle de la pirate. Milia reconnaîtrait le gros bras tatoué de Virens entre mille. Il tira à son tour sur la voile et la ramena avec force vers eux.

Par son poids, il maintenait la pirate contre le bois sans aucun problème et elle put lâcher prise sans avoir peur de tomber. Elle refit le nœud autour du bois oubliant la douleur de ses doigts meurtris et Virens s’occupa de le serrer pour être sûr qu’il ne lâcherait plus. Ils y étaient enfin parvenus.

En pleine tempête, il était bien plus dangereux de descendre du mat que d’y monter alors malgré le vent qui continuait de les harceler et les vagues qui faisaient tanguer le navire, ils restèrent allongés là-haut priant Rhomieu de les épargner.

Ils y restèrent accrochés une trentaine de minutes, sans parler, sans sortir un mot, gardant leur force pour s’accrocher au bois qui les soutenait avec peine. L’orage les malmena, le vent écorcha leur peau et le tonnerre explosa leurs tympans. Rester en vie sur la vergue était un vrai supplice.

Après ce qui sembla durer une éternité pour les deux pirates, l’Aiguille de la Sirène sortit du ventre de la tempête. La mer était encore agitée et les vagues puissantes. Cependant, après ce qu’ils venaient de vivre naviguer dans ces eaux tumultueuses était un vrai jeu d’enfant. Le ciel toujours aussi noir ne laissait passer aucun rayon des deux soleils qui les éclairaient le jour. Ils étaient plongés dans une brume aussi noir que l’ombre de la mort de Yphris

Virens et Milia purent enfin quitter leur position haut perchée et rejoindre le pont sans risquer leur vie. À peine eut-elle mis un pied sur les planches qu’elle s’effondra à genoux et régurgita tout ce qu’elle avait dans le ventre. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas vomi de la sorte.

— Une femme pirate, laissez-moi rire. Elle est incapable de suivre les ordres qu’on lui donne, lança Virens.

Il se tenait debout, droit sur ses jambes comme si rien n’était arrivé. Seuls ses vêtements, gorgés d’eau, et déchirés rappelaient l’épreuve qu’ils venaient de traverser.

— Je ne cesse de vous répéter qu’une femme sur ce navire n’est rien d’autre qu’un problème. En voilà encore une preuve, continua-t-il alors que les marins s'amassaient autour d’eux.

Milia aurait aimé rétorquer, elle ne pouvait pas. Son corps était bien trop mis à mal pour ne serait-ce que lever les yeux vers le maître d’équipage.

Dès son arrivée, cinq ans plus tôt, il ne l’avait pas acceptée, ni même accordée une seule chance. Elle avait tout essayé, adoptant leur manière de vivre, leur parlée, et leur travail sur le navire. Même après tous ses efforts, elle restait une femme et une femme à bord n’était rien d’autre qu’une distraction pour des hommes qui n’en avaient pas le luxe.

— Milia, comment tu te sens ? lui demanda une voix qui était venue s’agenouiller à côté d’elle.

Erwan Weaver, le timonier, son compagnon de vie pour qui elle avait quitté la terre ferme contre la mer. Il l’avait rejointe après avoir laissé le capitaine reprendre la barre.

— C’est pour toi qu’elle est là Weaver et elle a failli tous nous tuer ! s’emporta Virens. Elle n’aurait jamais dû monter à bord de l’Aiguille.

— Si tu as un problème avec elle, on peut régler ça maintenant si tu veux.

— Personne ne se battra avec personne ! les arrêta le quartier-maître. Je veux voir tout le monde à son poste, vous croyez que ce bâtiment avance tout seul? Les blessés, allez voir le chirurgien. Tous les autres, mettez y un peu du vôtre. Le navire a été endommagé, mais nous ne sommes plus très loin de Bieran, à Belach, on mouillera là-bas. Assurez-vous qu’on atteigne les côtes avant de sombrer.

Erwan amena Milia dans sa cabine. En tant que timonier, il en avait une spécialement pour lui. Il l’installa sur sa couche et sortit ses mèches rousses de son visage d’un geste doux. Le bleu de ses yeux s’était éteint et la fatigue les avait cernés.

— Je ne devrais pas être là Erwan. Tu sais qu'on n’a pas le droit.

— Tu nous as tous sauvés. Mon père ne posera pas de problème. Il doit déjà se concentrer pour nous ramener jusqu’à la terre dans ce bâtiment tout dépravé.

Il avait sûrement raison, pensa-t-elle, et ne s’en soucia plus. Elle avait déjà assez de mal à garder les yeux ouverts, la tempête l’avait vidée de toutes ses forces. Épuisée ou non, elle ne voulait pas dormir. La jeune femme ne voulait pas laisser passer ce moment seul à seul avec Erwan, ils en avaient tellement peu.

Il la regardait avec ses grands yeux verts, épiant chaque partie de son corps autant pour vérifier qu’elle n’ait aucune blessure que par gourmandise. L’eau avait rendu sa chemise transparente laissant apercevoir des parcelles de peau sous son corset noir.

En d’autres circonstances, la pirate aurait joué de son corps pour le rendre fou, or là, elle était bien trop éreintée pour tenter quoi que ce soit. Quelque fût ses envies, elle voulait tenir parole auprès du capitaine. Il avait été clair lorsqu’Erwan l’avait amenée avec lui la première fois, ils ne pouvaient consommer leur désir tant qu’ils étaient en mer.

— Alors donzelle, on joue au chevalier servant ? s’amusa-t-il finalement.

— Il fallait bien que je me mette à ta hauteur, tu as réussi à nous sortir de cette tempête en un seul morceau.

— Sauf que moi je fais ça depuis toujours. Alors ne tente plus des folies comme celle-là. Je ne veux pas te perdre.

Milia sourit et rougit légèrement faisant ressortir toutes ses taches de rousseur qui firent à leur tour sourire Erwan. Il l’embrassa tendrement avant de se relever.

— Repose-toi un peu, tu en as besoin.

Elle aurait aimé qu’il reste plus longtemps comme elle aurait aimé que leur baiser s’éternise, or elle savait aussi qu’il avait ses obligations auprès de l’équipage.

Elle aimait ce pirate comme jamais elle n’aurait pensé aimer un homme un jour. Elle qui, à leur première rencontre, avait voulu le charmer pour pouvoir s’amuser avec lui et le voler comme elle le faisait avec tous les hommes à cette époque. Elle avait été prise à son propre jeu et il l’avait séduite autant qu’il l’était.

Elle était grelottante avec ses vêtements trempés, les enlever était par contre impossible tout comme dormir sans. Même si personne n’était autorisé à entrer dans la cabine à part Erwan et le capitaine, elle ne voulait prendre aucun risque. Elle enleva simplement son corset qui lui comprimait le ventre ainsi que le bandeau qu’elle portait sur le haut de son crâne pour retenir ses cheveux en arrière et se glissa sous les draps.

Sa couchette était bien plus confortable que le branle dans lequel elle dormait dans la passerelle avec le reste de l’équipage. Fatiguée par l’épreuve qu’ils venaient tous de vivre elle s’endormit dans l’odeur suave qu’avait laissé son timonier en partant.

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