L'Appel des druides
1. Avant que notre histoire ne commence...
En ce samedi soir du mois de juillet, une chouette hulotte pointa son bec crochu hors du trou dissimulé dans le vieil arbre du parc qui enveloppait la clinique d’un écrin végétal. Ses grands yeux bruns enfoncés au milieu de ses disques faciaux explorèrent attentivement les alentours : personne dans les rues, ni dans les jardins. C’était à ce moment-là qu’elle appréciait le mieux les humains, lorsqu’ils désertaient son domaine au profit des curieux tableaux lumineux qui les attiraient dans leurs salons comme des papillons de nuit autour d’un réverbère. De légers frémissements dans la végétation annonçaient le réveil des petits animaux nocturnes, la vie animale recommençait à s’agiter dans les rues et les jardins délaissés. La hulotte finit sa toilette, rectifia l’ordonnance de son plumage brun-roux et s’élança silencieusement dans la nuit, à la recherche d’un petit rongeur bien dodu pour calmer sa faim grandissante. À grands coups d’ailes, elle prit rapidement de l’altitude et survola le toit de la clinique avant de se diriger vers son terrain de chasse.
Au deuxième étage du bâtiment, plusieurs fenêtres étaient restées allumées. Le calme qui accompagnait la tombée de la nuit n’était pas parvenu jusqu’au service de maternité. Dans le couloir, la sage-femme courait fébrilement d’une salle d’accouchement à l’autre. La vieille collègue qu’elle avait remplacée l’avait prévenue : c’était un soir de pleine lune, elle devait s’attendre à des difficultés inhabituelles. Superstitions ! s’était-elle dit. Elle n’était plus une novice, et au cours de ses premières années de travail, elle n’avait jamais remarqué que les nuits de pleine lune étaient spécialement agitées. Mais ce soir, cela s’annonçait problématique…
Son service de nuit avait pourtant commencé calmement : un jeune couple installé dans la salle n°1 attendait patiemment que le bébé, attendu depuis neuf mois, veuille bien montrer le bout de son petit nez. Tout se passait bien de ce côté-là. À 23 heures, tout était devenu plus compliqué : un deuxième couple s’était présenté en urgence. Ils étaient en voiture pour aller chez les parents de madame, à quelques dizaines de kilomètres de là, quand les contractions étaient subitement apparues. Ils avaient donc quitté l’autoroute pour rejoindre la maternité la plus proche, espérant toutefois que ce ne soit qu’une fausse alerte. Pas de chance ! L’accouchement ne se passerait pas comme ils l’avaient soigneusement planifié, l’enfant pousserait son cri avant que le cercle de famille ne soit rassemblé.
La sage-femme les avait installés dans la salle n°2 et avait appelé le médecin de garde. Rapidement, dans les deux salles, les contractions s’intensifièrent et s’accélérèrent, les futurs pères montraient des signes de panique à chaque fois que la sage-femme quittait une des futures mères pour aller surveiller l’autre.
Finalement, les deux bébés étaient nés simultanément, sans l’aide de la sage-femme occupée, à ce moment précis, à rappeler pour la énième fois l’obstétricien qui ne venait pas. Et pour couronner le tout, l’une des deux couveuses était en panne ; aussi, en attendant que le pédiatre de garde vienne examiner les nouveaux-nés, la sage-femme les avait mis côte à côte dans le même berceau, sous une lampe douce pour les réchauffer. Exténuée, elle s’était installée à une table placée à proximité d’où elle pouvait les surveiller. Elle profitait d’un bref moment de calme pour remplir les carnets de santé que le médecin ne manquerait pas d’exiger. Elle s’appliquait à transcrire sans faute les prénoms des enfants : Eowyn et Aëlig.
– Où est-ce que les parents ont bien pu trouver des prénoms pareils ? se demanda-t-elle, réprobatrice.
L’un des nouveaux-nés poussa un petit cri auquel l’autre sembla répondre. La sage-femme les regarda attentivement : les deux bébés étaient couchés sur le côté, l’un en face de l’autre. Avec leurs courts cheveux bruns, leurs délicats profils bien dessinés et leurs petites joues rondes, chacun semblait être le parfait reflet de l’autre.
– C’est drôle ! se dit-elle. Ils se ressemblent tellement… On dirait des jumeaux.
Commentaires (0)