Eleonora, dernière Magicas

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Eleonora, dernière Magicas

Eleonora, dernière Magicas

Wazkin


1. Partie 1 Chapitre 1

Cours! Cours! C’est l'ordre que me donne mon cerveau. Surtout ne pas se retourner, sinon je ralentirais et alors je pourrais le voir.

Cours! Cours! Je n'en peux plus, je cours dans la nuit ou plutôt dans les ténèbres qui m'entourent. Je ne sais plus, il pleut, je suis couverte de boue. Soudain je vois mes mains.

Ne t'arrête pas! Elles sont rouges. Rouge sang. Qu'ai-je fait? Je ne me souviens plus. Je sais qu'il faut que je coure, c'est une certitude sinon il m'aura. Il faut que je lui échappe. Il ne doit pas me rattraper et je ne dois en aucun cas croiser son regard. Pourquoi? Ces yeux magnifiques aussi noirs que son cœur. Non je ralentis en pensant à lui, il ne faut pas. Cours! Cours!

Je me réveillai en sursaut. Quelle heure était il? Où étais je? Évidemment, dans mon lit, en sueur. Je venais de rêver. Pourtant j'avais réellement eu l'impression de courir, de m'échapper. Non tout allait bien, mon réveil affichait sept heures, je devais me préparer pour le lycée. Je me levai doucement, mes pieds effleurèrent le sol, je tremblais. Je me regardai dans le miroir en face de mon lit.

J'avais toujours pensé que tout ce qui m'entourait était réel. J'avais toujours pensé que la vie, le lycée et surtout ma famille étaient réels. Je n'avais jamais imaginé que tout cela pouvait être un rêve involontaire, un rêve où j'aurais préféré rester et ne jamais savoir la vérité. Un rêve qui m’entraînera dans des endroits sombres, où ma fidélité sera mise à rude épreuve.

Je m'appelle Eleonora, j'ai dix-sept ans et malgré le fait que je vive au soleil toute l'année, ma peau est aussi pâle que la mort. Ma longue chevelure ainsi que mes yeux aussi noirs que le charbon contrastent pathétiquement avec mon teint de porcelaine à l'allure fragile. Habitant aux États-Unis, j'aurais pu être le genre de fille superficielle que sont généralement les pom-pom girls et être populaire, mais non, mon comportement ne me permettait pas d’être acceptée. J'avais toujours préféré être seule et c'était pour cette raison que le lycée m'avait classé dans la catégorie "à éviter". Celle où sont les filles simples, différentes, sans maquillage et mini-jupe (bien que j’aurai pu me le permettre).

J’étais en somme assez banale, je regardais des films en rêvant moi aussi de sauver le monde de créatures extraterrestres ou de démons venus nous exterminer. Je l'admettais, mon imagination débordante me faisait croire à toutes ces inventions fantastiques, c'était sans doute la raison pour laquelle personne ne m'adressait la parole. Les vampires et loups garous étaient pour moi une source d’inspiration inépuisable pour m’imaginer en héroïne. En résumé rien n'aurait pu me faire douter de notre monde, rien n’aurait pu m’emmener à croire que tout basculerait si vite. Et pourtant… tout commença avec mon professeur de philosophie.

C’était ce genre de personne qui paraissait un peu folle et était toujours enthousiaste face à un texte de Platon ou Diderot. Il avait deux gros bracelets noirs au poignet droit, des petites lunettes sombres et la tête aussi rouge qu’une tomate. Il portait toujours des habits sans couleur, sans vie, mais son humeur elle, débordait de joie. Un homme incroyable et plein de sagesse, intéressant et intelligent malgré son jeune âge. Il avait prononcé la phrase en plein milieu des deux heures de cours, un lundi matin à neuf heures vingt précise, alors que ma voisine me racontait sa fête de la veille. Je l'avais toujours vu comme un homme qui pouvait tout remettre en question, mais lui-même ne se doutait certainement pas à quel point il pouvait avoir raison lorsqu'il nous dit "et si nous vivions tous dans un rêve, et si nous étions endormis et que notre cerveau rêvait. Si nous étions dans un monde purement créatif, inventé par notre esprit, comment le prendriez vous ? Quel serait votre réaction ?". J'avais pensé instantanément à cela "et s’il était devenu fou", le problème étant que j'avais dû y songer à voix haute, ce qui expliquerait sans doute mes deux heures de colle et l'hilarité de la classe. D'une certaine manière, mon prof m'avait aidé à réfléchir en me donnant cette punition. J'avais immédiatement mis mon esprit imaginatif sur le coup et me projetais me réveillant dans un tout autre monde. J'avais bien entendu envisagé mille et un scénarii possibles, tous plus fous les uns que les autres, mais je n'aurais jamais pu soupçonner que le plus fou serait encore bien loin de la réalité, que tant de problèmes, et d’horreurs découleraient d’une si simple phrase.
J'étais donc sortie de colle complètement perturbée, ayant passé ces deux heures à élaborer des mondes tous plus dingues et fantastiques que les précédents. C'est alors que m'était venue une question inévitable "si nous sommes endormis et que nous rêvons comment pouvons nous nous réveiller?". Heureusement, mes cours suivants étant deux heures de maths, j'eus donc tout le loisir de chercher le moyen de me sortir de cette interminable rêverie, juste évidemment pour vérifier les dire de mon cher professeur. Bien entendu, tout grand chercheur scientifique (et je suis en S) se devait de voir si une hypothèse était vraie juste dans le doute ou pour démentir la personne qui l'aurait proposée. Je ne pensais pas à ce moment-là y arriver la semaine d'après, jour pour jour. Cours! Tu ne dois pas le laisser te rattraper ni même gagner du terrain! C'est ce que me répète mon cerveau, ce qu'il ordonne à mes jambes. Bien évidemment je cours à en perdre haleine, mais je ne m'arrête pas. Mes mains sont toujours rouges mais je n'ai plus le temps de m'en occuper. Je sais que je cours pour atteindre un allié qui me protégera. Il me rattrape, je peux entendre ses pas réguliers et forts qui se rapprochent lentement mais sûrement de moi. Il sera bientôt là, si seulement je pouvais accélérer ma course folle à travers les rues de New York. Cours ! Plus vite ! Il arrive !

Peter! Non! J'étais de nouveau en sueur dans mon lit, réveillée brusquement, mon pyjama vert collé à ma peau. D'un coup, je vis une énorme ombre disparaître par la fenêtre ouverte, je ne sus comment, de ma chambre. L'ombre ressemblait à une tête tellement gigantesque qu'elle eut du mal à partir discrètement, sans rien casser. Non je n'avais pas pu rêver, j'étais sûre que l'animal à qui appartenait cette tête était là quelques instants plus tôt, imposant mais silencieux. Qu’est ce qui m’arrivait! Je délirais! Je venais de me souvenir, je venais de crier un prénom. Qui était ce? Peter. Je n'en connaissais pourtant pas. Pourquoi faisais je toujours ce même rêve, en allant cependant de plus en plus loin. Je restai sur mon lit le temps de calmer ma respiration. J'entendais encore les talons de mes chaussures rouges, que je ne mettais jamais, claquer sur le trottoir. J'entendais d'autres bruits de pas ; était ce Peter qui me suivait?

Je me levai comme chaque matin après mon étrange et angoissant rêve et me préparai. En prenant mon petit-déjeuner une idée folle me vint. Et si par le plus grand des hasards, je commençais à me réveiller de ce faux monde dans lequel nous étions soit disant. Et si des bribes de ma vraie vie, dans le vrai monde, me revenaient. Etais je réellement en danger? Que faire?

La perspective que pour une fois une histoire incroyable m’arrivait m’avais fait oublier le temps. Je n'avais pas vu passer l'heure et j'étais en retard au lycée. Cela faisait trois fois, la surveillante me colla donc la semaine suivante, pour deux heures. Encore. Deux heures un lundi matin, pour remplacer la soudaine absence de mon prof de philosophie.

J'avais passé le week-end avec mes parents. Ce qui était déjà anormal étant donné que ma famille préférait aller faire les magasins que rester près de moi. Mais ce qui me parut le plus étrange fut le temps. Il pleuvait, c'était si rare. L'air était comme chargé d'électricité, il planait une ambiance lourde comme dans les films d'horreur que je regardais le soir. Les nuages noirs qui envahissaient le ciel ne présageaient rien de bon. D'ordinaire j'aimais me lever tôt le matin pour admirer le splendide défilé de couleurs que produisait le lever du soleil, jouant à cache-cache avec les nuages bleu pastel.

Cependant ce matin-là, je n'eus pas envie de sortir du cocon chauffant que me procurait mon lit ainsi que ma couverture enroulée autour de moi. J'avais peur. Peur de me lever. Peur d'entendre le bruit de mes chaussons sur le sol qui me rappellerait que trop bien le bruit de mes talons lors de ma course effrénée pour lui échapper. Peur de le voir apparaître, là, dans le cadre de ma porte, habillé tout de noir. Peur de fixer ses yeux, que je ne devais absolument pas regarder. Il avait fallu que mes parents viennent me secouer pour que j'ose affronter cette angoisse qui s'insinuait dans chaque partie de mon corps, chaque soir un peu plus, avant de m'endormir pour poursuivre ma fuite.

Après ce léger incident du samedi matin, j'oubliai pour le reste de la journée l'énorme tête, Peter et mon rêve. Heureusement, mes parents avaient enfin songé à me laisser un petit moment d'intimité le dimanche soir. J'en profitai pour partir au cinéma voir un nouveau film sur les dragons. À la moitié du chef d'œuvre cependant, je fus prise de panique. La tête de dragon qui s'affichait sur l'écran avec exactement la même forme que l'ombre de ma chambre. Cela n'était sans doute que mon imagination qui me jouait un sale tour. Les dragons n'existaient pas et ne venaient pas dans votre chambre la nuit lorsque vous faisiez une course poursuite dans New York. Ce n'était simplement et purement pas possible. J'avais tout de même trouvé le courage de regarder le film en intégralité. Il n'y eut pas d'autre coïncidence suspecte qui aurait pu me prévenir que je devenais folle.

Je quitte les rues pavées de New York pour entrer dans un parc. Il n'y a personne, le vent fait danser les feuilles, qui se détachent des branches pour se poser délicatement par terre. L'eau émet un clapotement régulier qui pourrait presque m'apaiser, me détendre. Les bancs sont vides, attendant sagement le lever du soleil pour accueillir les couples amoureux et insouciants ou encore les amis de la nature. Les oiseaux ne chantent pas, ne volent pas et ne se montrent pas. Le ciel est étrangement noir, ce qui fait ressortir ce soir de pleine lune, incroyablement blanche. Soudain, un hurlement, comme un loup qui crie vengeance, me fait sortir de ce tableau magnifique et me ramène à ma cavale. J'ai ôté mes chaussures et cours pieds nus dans l'herbe. Les cailloux et débris de verres s'enfoncent dans ma chair. Je n'y pense pas. Je ne sens pas la douleur. Je me concentre sur mes foulées, ne pas lui laisser plus de terrain qu'il n'a déjà. Soudain je trébuche sur une racine. Mes pieds s'emmêlent et je me retrouve à faire des roulades avant de finir dans l'eau. Je suis à bout de force. Je n'en peux plus et n'essaie même pas de nager. Je me dis que la noyade est sans doute une mort plus douce que je n'aurais eu avec lui. Je ferme les yeux et laisse l'eau s'insinuer dans chaque partie de mon corps, mes doigts sont engourdis mais qu'importe. Je pense à ce parc si paisible dans lequel je vais promener mon chien et qui est maintenant le lieu de ma mort prochaine. Je n'ai plus froid, je n'ai plus peur, j'attends.

Au bout d'une dizaine de minutes, alors que je crois être arrivée dans l'au-delà, j'ouvre les yeux. Et la stupeur qui m'envahit à ce moment-là paralyse chacun de mes muscles. Je suis dans l'ombre mais mes yeux voient une grotte si imposante et effrayante que mes membres se mettent à trembler, pris de panique. Soudain une voix crie "Peter! Elle est réveillée, vite!"

Je n'avais pas eu la chance ni surtout le temps de penser à mon rêve. Depuis ce matin j'avais juste eu le loisir d’enfiler la première paire de chaussures rouge à portée de main et de courir après ce bus toujours trop en avance. C'était seulement une fois installée confortablement que je pus y penser. Encore ce Peter. M'étais je trompée? N'étais ce pas l'homme qui me poursuivait mais plutôt celui qui m'avait sauvée de mon bain de minuit? Il fallait que j'arrête avec toute cette histoire absurde qui me faisait passer encore plus pour une dégénérée mentale. Tout cela n'avait jamais existé, n'existe pas et n'existera sans doute jamais.

Cependant, ce lundi matin-là me prouva le contraire. Cela c'était produit alors que je rentrais dans la salle de colle et m'asseyais sur une chaise au fond, près de la fenêtre. Il y avait une inscription sur cette table. Une inscription que je n'avais jamais vue alors que, lorsque j’étais collée (souvent), je m'installais ici. Une phrase que j'avais malheureusement ou heureusement lue à voix haute "Le mal peut être votre allié si vous en avez le courage".

Je m'étais alors sentie défaillir, j'avais vu la salle devenir floue et se mettre à tourner de plus en plus. Mon cœur battait et je pouvais entendre chaque pulsation un peu trop rapide à mon goût. J'étais terrorisée, tétanisée et pourtant je savais que je ne devais pas me débattre. Malgré moi, mon cerveau fut obligé de me protéger. Je m'évanouis donc en ayant pour dernière image le surveillant un peu trop gros courir dans ma direction.

Je ne savais combien de temps j'étais restée inconsciente, à essayer de remettre de l'ordre dans mon esprit, à essayer de revenir dans cette salle de colle que finalement j'appréciais. Mais malgré tous mes efforts pour me dire que je délirais, lorsque j'ouvris les yeux, je me retrouvai dans un endroit que je trouvais vaguement familier.

Vaguement familier et pourtant si inconnu et obscur. Il faisait nuit noire. Comme dans mon rêve ! Voilà pourquoi je connaissais ce parc! J'y traversais les allées pavées, parsemées de prospectus jetés par les gens, en courant pour sauver ma peau, en évitant un ennemi sans doute puissant. Je pris peur. J'étais seule dans cet endroit, entourée des ténèbres et sans protection. Je regardai mes mains. Elles étaient rouges comme le sang. Je fus prise de panique. Je me levai le plus rapidement possible et courus en direction de ma maison. Il y aurait forcément quelqu'un dans les rues ou mes parents chez moi pour me mettre au courant de ce qui se passait ici. Je me dis qu'il y avait une explication logique au fait d'être dans ce lieu, mais je ne pus m'empêcher de me souvenir de mon rêve récurrent lorsque j'entendis mes talons, que je ne mettais jamais, claquer sur les trottoirs de New York.

Non, ce n'était pas possible! J'étais seule dans les rues, les voitures traînaient au milieu de la route, abandonnées. Aucun piéton, aucun squatteur, aucun drogué. Rues désertes et pourtant effrayantes. Les immeubles se mirent à bouger, c'étaient devenus des monstres animés par de mauvaises intentions. Je me sentis mal. Il fallait que je rentre chez moi. Je continuai de courir quand j'entendis des pas qui me suivaient. Je me retournai mais ne vis personne. J'étais terrifiée. Je poursuivis à cette allure lorsque les bruits de pas se firent plus forts, plus pressés. L'inconnu se mettait à courir. D'un coup, je fus frappée d'une certitude, il fallait que je lui échappe. Il ne me voulait rien de bien.

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