ETRE tome 1 partie 1

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ETRE tome 1 partie 1

ETRE tome 1 partie 1

Ellimac


1. Prologue


« Si Dieu aimait les Êtres-Humains,

il ne leur aurait jamais donné naissance. »


Dans la région chaude et aride du nord-ouest du Kenya, les déserts montagneux s’étendent à perte de vue. En ces terres, le vent brûlant et violent agite la terre poussiéreuse, ainsi que les branches nues des rares arbres poussant au bord d’un lac. Cette étendue d’eau se tient au milieu du désert et le déchire en une faille sur des kilomètres jusqu’au nord de l’Éthiopie. L’eau d’un azur limpide par endroits et sombre au centre, entoure une île. Ce lac est majestueux. Ses couleurs vertes, brun-bleu et noirâtre lui concède aussi le nom de « La mer de Jade ». Le lac Turkana est alimenté par trois rivières : soit l’Omo, la Turkwel et la Kerio. Cette grande faille africaine est située dans une région très sismique et de nombreux volcans, éteints pour la plupart, l’entourent.

Au sud, la tribu Rendille habillée de linges traditionnels colorés, leur cou et leurs têtes arborent des bijoux faits à la main. Ils sont beaux, simples et vivent ici depuis des générations.

En cette soirée-là, au pied d’un arbre, Maïna, un jeune homme à la peau sombre, au sourire laiteux, contemple, la mine heureuse, le ciel où la Voie lactée fait son apparition comme toutes les nuits. Habillé d’un simple tissu entourant sa taille et de quelques bijoux, ses iris noisette sont fascinés par ce plafond ; il le sait, c’est grand, immense et qu’il y a d’autres planètes. Il a connaissance que tout est rond, comme une boule de terre sans imperfection. Le corps abandonné à ses rêveries, il contemple sans relâche l’étendue émaillée, émerveillé. Il suit du regard la bande blanche, venue se perdre dans le cratère du volcan Nabuyatom endormi. Le mont domine terre et ciel. Large, il règne et montre aux humains le pouvoir de Mère Nature.

Paraissant posé sur l’île au beau milieu du lac, il est retenu finement par la terre et s’est entouré du liquide sacré émeraude, au milieu du désert sombre de la nuit. Cette nuit-là n’est pas comme les autres, elle gronde dans un silence inquiétant. Maïna sursaute, un éclair vient frapper le cratère sans un bruit. Seule la brise chaude et humide balaye le silence. Il regarde le ciel, constate bizarrement qu’il n’y a aucun nuage et part en direction de son taudis. Lorsqu’il entend le grondement faible du volcan et voit les oiseaux s’envoler, il réveille de force trois de ses amis.

— Venez vite, un éclair a percé le volcan… chuchote-t-il, dans sa langue natale, à ses collègues qui ne comprennent pas l’ « éclair » pendant une nuit étoilée.

— Aban, prends ton truc qui fait des images… commande-t-il à son ami.

Les quatre jeunes hommes se dirigent, à contrecœur pour certains, d’un pas modéré vers le volcan qui gronde de plus en plus fort à leur approche. Les trois frottent leurs yeux endormis et encore en manque de sommeil, tout en suivant d’un pas lent, le rapide et déterminé Maïna.

— Maïna ! Il s’est passé quoi ? demande l’un.

— Je te l’ai dit, un éclair a traversé le ciel puis il est tombé dans le volcan.

Voyant la crainte et le scepticisme s’emparer du visage de ses amis, il s’arrête.

— Aban, tu me crois ?

— C’est sûrement un mauvais présage, déclare un autre.

— Tu n’as pas l’âme d’un guerrier Yulu. Tu ne comprends pas, réplique Maïna.

— Sûrement un éclair, rien de plus, répond Aban, le polaroïd autour du cou.

— Il n’y a pas de nuages. Es-tu sûr que c’était un éclair ? Et non une étoile filante ?

— Je t’assure Berhanu, c’était un éclair.

— Où est le tonnerre, alors ? demande Yulu, apeuré.

Au même moment, le grondement orageux hérisse les poils des quatre jeunes hommes.

— Le voilà, le tonnerre.

Maïna continue de marcher en accélérant ses longues enjambées. Yulu n’est pas serein, son intuition lui crie de courir dans la direction opposée, mais il suit la cadence avec une petite curiosité. Arrivé au pied du volcan, Maïna s’apprête à le grimper, quand Aban le retient.

— Regarde.

Tous observent la déchirure s’élever à une dizaine de mètres de haut. Ils s’approchent lentement vers cette étrange entrée, où la terre vient à peine de se transformer en une roche noire et mystérieuse. Elle est sombre, mais brille à la fois d’une couleur qu’ils n’avaient jamais vue. Devant cette entrée monumentale, s’élargissant à chaque instant, un vent froid et glacial émane de l’intérieur puis vient frapper leurs corps chauds et tétanisés de peur. Maïna, curieux, ne ressent pas une once de crainte, pénètre dans la fissure sans savoir où elle pourrait le mener. Il est suivi par Aban et Berhanu. Yulu a préféré rester à l’extérieur.

— Je te raconterai tout en détail à notre retour, dit-il avant de disparaître dans le néant.

L’entrée est sombre tel un rideau de matière noire impénétrable. Ils entrèrent dans un large couloir. Des murs et piliers rectangulaires sont de teinte anthracite. Tout est lisse et sans défaut. L’éclairage irréel parvient par l’immense fente immaculée. Le couloir descendant est creusé à même la roche au fond du corridor, il leur montre un chemin mêlant dalles polies et roches, obligeant à zigzaguer pour se diriger vers la lointaine fente. Tout est si monumental que les trois jeunes curieux se trouvent rétrécis.

— C’était là avant ? demande Berhanu, les yeux chatoyants des couleurs renvoyées par la lumière pure de la fente.

Personne ne répond ; tous sont émerveillés par tant de beauté et de peur, leurs corps grelottent en raison de l’écart de température avec l’extérieur ; mais personne ne s’en soucie. Maïna, Aban et Berhanu se tiennent devant l’immense faille, géométriquement parfaite et lumineuse. Ils hésitent quelques instants, saisis d’une profonde angoisse pour finalement décider de passer la fente immaculée, poussés par la curiosité. Aussitôt, leurs yeux s’ébahissent, ils n’auraient jamais pensé à voir cela de leur vie. Ils sont à l’intérieur d’une cavité incommensurable. Ils n’avaient jamais vu une grotte aussi imposante et celle-ci est si mystérieuse et colossale que cela ne les inquiète même pas. Elle mesure plus de deux cents mètres de haut sur cent mètres de large.

Au fond de la cavité, attachée contre le mur, une imposante dalle circulaire, aussi noire que l’ensemble, se tient au-dessous de sa semblable. Elles brillent, ondulent de couleurs chatoyantes allant du bleu au blanc dans un faible vrombissement mélodieux. Les dalles grossissent et s’élèvent pour s’arrêter à un mètre de haut.

Berhanu penche la tête vers le sol à moins d’un mètre de profondeur. Un noir profond, recouvert d’une plaque translucide, il laisse apercevoir les ondulations frénétiques des couleurs irréelles danser en dessous. Cela semble vivant. Berhanu se demande pourquoi cette distinction entre les sols ?

Un bruit, des plus uniques, sorti du son perpétuel des roches en constante mouvance.

Rapidement, une plateforme surgit du clair-obscur et s’élève du sol au centre de la grotte.

— Prends ta machine… chuchote Maïna à Aban qui s’empresse de faire fonctionner son appareil.

Aussitôt, Maïna et Berhanu se tiennent par les épaules et sourient, comme ils ont appris à le faire avec les étrangers. Aban appuie sur le déclencheur et le flash les éblouit, avant de reprendre leur contemplation de cet endroit unique. Il sort la photo, la sèche en la secouant pour la poser soigneusement sur une roche à ses côtés et, au même moment, Aban pointe du doigt la plateforme en les appelant.

— Regardez ! s’écrie-t-il.

Leurs paupières écartées, la mâchoire relâchée, les sourcils à la fois inquiets et surpris, ils admirent la chose se créer sur cette plateforme. Un nuage gris de poussière aux reflets nuancés virevolte, s’avale lui-même, flotte, disparaît et réapparaît. Il expédie autour de lui un bruit aigu, strident, ricochant sur les parois pour revenir à sa source. Poussé par une envie, Maïna décide de s’approcher, il ne voit rien d’où il se trouve. Trop curieux et pas assez à l’écoute de son intuition, cloîtrée par cette fascination humaine.

La plateforme, au centre de la cavité cubique, surplombe les deux dalles circulaires avec autorité. À peine pose-t-il le pied sur le sol luisant que des marches apparaissent de nulle part en direction de la plateforme, à soixante mètres de haut. Des dalles s’élèvent, l’une après l’autre, elles lévitent, pour atteindre le niveau poussiéreux. Aban et Berhanu, le voyant progresser sans danger, décident de lui emboîter le pas. Ils marchent et contemplent la cavité de bas en haut. Les moindres détails sont inspectés et chacun répond à la question trottant dans leur tête : « D’où vient cette lumière pure, artificielle et inquiétante ? »

Maïna s’arrête et, face à la première marche, sa curiosité est malmenée par une autre émotion : la peur, vite terrassée par l’envie de connaître, de toucher cette chose en hauteur. Quand il racontera son périple et qu’il rapportera de cette grotte une preuve, on l’aimera davantage et l’on fera de lui le chef des guerriers.

Il pose son pied sur l’escalier avec fierté.

Un hurlement lui grille les tympans.

Un cri de douleur. Aban, le visage horrifié, appelle à l’aide ; qu’il n’a pas la chance de recevoir ! Sa mort est si rapide.

Sa jambe, bloquée, se recouvre d’un épais liquide émanant du sol anthracite. Rapidement, tout son corps s’enveloppe de cette matière corrosive. Elle lui grignote la peau, s’infiltre dans ses os et le fige pour l’éternité dans un corps hurlant à la mort et crispé d’une peur défigurant son visage.

Maïna et Berhanu n’ont pas le temps d’esquisser le moindre mouvement : leurs jambes sont ensevelies par cette matière inconnue. Leurs cris terrifiants résonnent en écho. La cavité majestueuse et devenue horrifique. Maïna tombe. Ses jambes, arrachées, restent sur le sol. Il continue d’avancer, hissant son tronc à l’aide de ses bras. Il ne saigne même pas. Le liquide s’empare de ses mains, son poignet avance pour englober ses épaules. Il tend un bras visqueux dans l’espoir d’atteindre la marche, mais ses dernières forces sont vaines.

Sa peau fond, sa chair et une partie de ses muscles résistent avant de se figer.

Il s’époumone de douleur une dernière fois avant que son visage ne soit carbonisé dans la terreur. Le liquide pénètre à l’intérieur de sa trachée, s’empare de son dernier cri et souffle.

L’écho de son ultime hurlement parvient jusqu’aux oreilles de son ami resté à l’entrée. Yulu se lève brusquement, ses poils se hérissent.

— Maïna, Aban, Berhanu ! appelle-t-il depuis l’entrée.

Il a bien trop peur de passer la porte. Personne ne répond et un vent glacial vient percuter son corps terrifié. Il tremble de froid, son cœur s’affole. Il se décide alors qu’il doit leur venir en aide. Sa jambe traverse le néant, avant de faire volte-face.

Un bruit de moteur, dans son dos, l’arrête dans sa lancée. N’ayant pas le temps de se cacher, il regarde, le corps pétrifié, les deux voitures s’arrêter devant lui et l’éblouir de plein fouet. Le contact se coupe, les phares s’éteignent et les portières s’ouvrent. Six personnes descendent, il n’aperçoit aucun visage ; camouflés par l’obscurité de la nuit, ils ne sont que des ombres. L’un s’extirpe de la pénombre. Une femme, plus petite, coiffe ses cheveux gris d’une main nerveuse tout en se dirigeant, avec prudence vers le jeune homme apeuré. Il croit, au premier abord, à des touristes perdus, mais il comprend son erreur au moment où elle s’adresse à lui.

— Bonjour, tu ne crains rien, dit-elle dans la langue du peuple, je peux t’aider. Est-ce que tu es rentré dans la grotte ? Raconte-moi tout.

Le jeune homme, surpris d’entendre une blanche maîtriser sa langue, lui explique tout depuis le début avec un débit alarmant. Jusqu’au terrible cri qu’il vient d’entendre.

La femme le remercie, se tourne en direction de ses collègues. Son visage est devenu grave. Rien qu’un hochement de tête, Yulu sent son cœur s’accélérer. Sans plus attendre, les six se dirigent d’un pas assuré vers la plaque noire et y pénètrent sans hésiter, laissant Yulu seul et terrifié dans la nuit.

Une nuit particulière, celle qui changera le cours de l’Histoire.

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