Les âmes temporelles

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Les âmes temporelles

Les âmes temporelles

Emmy Jolly


1. PROLOGUE : ALPHA CENTAURI

2070

La puissance de la lumière de la cité est telle qu’il est impossible d’y discerner les étoiles. L’ambiance bruyante des véhicules survolant le ciel plonge le climat dans un halo de tension. Alpha Centauri, planète au centre d'une galaxie avoisinant le milliard d'habitants, brille dans la province du Centaure.

Dans un laboratoire caché au sous-sol d’une tour inhabitée, un bip sonore se fait entendre. La machine bruyante et entêtante baptisée la Erin World Messager est en train de se faire réparer. Une femme mince, les cheveux serrés dans une longue natte blonde est accroupie et tente de remanier les cordons qui lui donnent du fil à retordre. Elle s’adresse à sa collègue, penchée sur un établi.

— Léna, tu pourrais noter qu’il serait urgent de trouver des cordons Maltess ?

— Ok, Haylie, je note.

Celle-ci s’empare du crayon niché derrière son oreille et s’applique à inscrire sur sa tablette les recommandations. De même gabarit que Haylie et au physique assez semblable, elles pourraient être perçues comme deux sœurs. En réalité, elles ne sont que de simples scientifiques, stagiaire pour Léna et plus expérimentée pour Haylie. La jeune femme, a en effet déjà fait ses preuves à l’University Alpha Victory, célèbre université qui doit son nom à l’éminent professeur Victory Spillman. Celui-ci est à l’origine des plus grandes innovations de cette planète. Il a permis, entre autres, grâce à son savoir, l’élaboration de la Erin World Messager. Haylie est en passe de trouver une solution au défaut de la machine temporelle. C’est assez rare de trouver un appareil comme celui-ci de nos jours, mais c’est l’avenir dorénavant. Chaque transmetteur a pour rôle de faire passer un message au-delà de la stratosphère, voire même de l’Univers. Parce qu’elle en est persuadée, il existe d’autres traces de vie ailleurs que sur Alpha.

—Je meurs de faim, on fait une pause ? propose Haylie à sa stagiaire en se relevant.

Léna ne réagit pas, trop concentrée sur ses notes tactiles. En effet, elle compte faire ses preuves auprès de celle qu’elle nomme son mentor. Mais Haylie ne supporte pas la hiérarchie et les injonctions. Elle estime que la jeune femme est du même rang qu’elle.

Elles n’ont pas le temps de bouger que la porte s’ouvre sur un homme au physique avenant, tenant d’une seule main un plateau bien garni. Ce grand brun aux yeux noisette et à l’allure athlétique sourit malgré lui. Son visage d’ordinaire crispé prend une tout autre teinte.

— Tu tombes bien, Marcus, on avait un petit creux ! s’exclame la pétillante Haylie.

Il suffit qu’elle pose les yeux sur lui, change d’intonation et le regarde avec un certain appétit. En effet, il a pensé à son mets favori. Il est d’une telle attention avec la jeune femme que Léna sourit avec l’envie de le taquiner.

— Alors, comme ça tu n’as pas oublié le Finger Sandwich végétarien, chantonne la jeune femme.

—Je ne t’ai pas oublié non plus, je t’ai pris le même… Il s’approche de Léna et dépose un sandwich semblable à celui d’Haylie.

— Alors, vous en êtes où ? D’où vient le problème ?

— C’est vous deux, le problème… marmonne Léna.

Et elle n’est pas la seule à le penser. Ces deux-là ne cessent de se tourner autour sans jamais se l’avouer.

Dans l’impassibilité de la scène, tout tourne au ralenti lorsque de lourds piétinements martèlent le sol. La pièce est soudainement envahie par trois mastodontes qui ont arraché la porte de ses gongs.

Haylie et Léna restent abasourdies devant leurs musculatures impressionnantes ajoutées à leurs habits de cuir noir. Marcus tente de faire barrage. Parce qu’il sait bien qui ils sont. Leurs fameux tatouages sur leurs visages bourrus ne trompent pas, ils marquent leur appartenance.

Sur cette planète, le taux de criminalité est élevé et la police ne parvient pas à enrayer la menace de tous les jours.

Elle est donc composée de quatre-vingt-dix-neuf pourcents, de meurtre, vol, agression. Elle ne cesse d’augmenter et la police n'étant pas assez qualifiée pour certaines arrestations, une organisation a donc vu le jour pour mener des enquêtes un peu particulières.

La fureur qui les anime n’est pas crainte par Marcus.

— Les Hydra Vice… que me vaut l’honneur ?

Le plus âgé, qui se trouve être le chef, nommé par ses pairs Black Mentor, ne prend pas la peine de parler et sort un Gloss Matricule Vingt Deux de son étui. Marcus n’a pas le temps de faire un pas que le tir est lancé, il se jette alors à terre dans un élan de survie.

Un jet rougeoyant vient se loger dans le mur du fond. Léna se recroqueville sous une table, tandis qu’Haylie inerte, crie le nom de Marcus. Elle lit alors dans les prunelles du chef que celui-ci ne partira pas avant d’avoir obtenu ce qu’il désire.

— La machine ! entonne-t-il de sa voix de sa voix grave.

— La Erin World Messager ? Elle n’est pas à vous ! s’exclame Marcus.

— Oui et elle est défaillante, ajoute Haylie.

Un autre tir se fait entendre en direction de l’établi, ce qui oblige Léna à sortir de sa cachette en rampant.

L’un des hommes attrape la main de la jeune fille, la forçant à se mettre debout.

— Lâchez-moi !

Léna parvient à s’extraire des bras puissants grâce à la hargne d’Haylie qui, plongeant sur lui à la manière d’une guerrière, la ramène vers elle.

Le dernier colosse est déjà paré et tire à l’aveuglette vers Marcus avec un Gloss similaire. À trois contre trois, la guerre est déclarée mais pas à forces égales.

Haylie ordonne à Léna de rester derrière elle, lui servant de bouclier afin de la protéger. Marcus est désireux de faire de même pour elle, mais il est dans l’impossibilité d’agir. Black Mentor prend les devants et le menace de son arme. Il sait très bien à quoi servent ses armes, elles ont chacune leur particularité. Le trafic d’armes est en effet leur principal commerce. L’une d’elle peut vous arracher votre âme et l’envoyer valser dans un autre corps que le vôtre. C’est celle-ci qui est pointée sur Haylie. Si elle reste tranquille, elle pourra peut-être le forcer à se rendre. L’idée de lui donner ce qu’il désire lui vient à l’esprit. Lui tendre un piège serait aisé, mais risqué.

Elle connaît mieux que quiconque cette machine qui permet le voyage à travers le temps et l’espace. Celle-ci est dangereuse si on s’en sert pour de mauvaises raisons. Les Hydra Vice sont bien connus pour être redoutables et s’ils venaient à s’en emparer ce serait catastrophique. Leur but est de faire revenir leurs semblables, dispersés à diverses époques dans des prisons aléatoires. Ils désirent retrouver les plus grands criminels afin qu’ils fassent partie de leurs élites. Créer une nation de pouvoir, régie par la plus grande criminalité d’Alpha Centauri.

Haylie est dans le viseur. Deux jets luminescents à la suite d’un tir groupé par les deux sbires s’élancent en sa direction. Léna, dans une rage et un courage dont elle ne se serait jamais crue capable, parvient à pousser son amie. Malheureusement, cela ne suffit pas et la pauvre Haylie se prend une décharge de laser. Le coup est direct, intransigeant et impressionnant. La projection de laser se fend en deux pour attaquer Léna, pile dans la ligne de mire. Leurs âmes s’en détachent dans un halo luisant propulsant parmi des rayons violents, un échange involontaire. Marcus qui a tout vu de la scène, se jette sur les deux corps. Mais le chef a déjà pris d’assaut la machine. Il appelle ses deux acolytes afin qu’il se charge de se débarrasser du pauvre Marcus.

— Jamais, vous ne l’aurez ! Celui-ci s’empare de l’arme de l’un deux et tire comme il peut dans le tas des trois comparses. Il provoque néanmoins un tir incongru vers la Erin World Messager. Une exposition d’étincelles s’élance dans les airs et un bruit strident emplit le laboratoire. Une brèche béante dans l’écran de contrôle laisse échapper un tourbillon agressif qui vient propulser tout ce joli monde dans un autre espace- temps. Erin, la machine, ne fait qu’une bouchée de tous les corps et être vivant qui sont à sa portée. Ce trou les emmène dans une autre époque, ou peut-être un autre univers ? La date qui clignote en bas du contrôle de la machine indique une année : 1950.


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