Eden & Sebatsian
1. Prologue
Ce jour-là aurait pu être comme tous les autres jours enneigés de Détroit, comme le cycle perpétuel de la vie, chaque année à la même période. Cette fin de mois de décembre où les fêtes de Noël viennent de passer, et où l’on prépare celle du nouvel an. Ces jours-ci où la magie de Noël n’est pas encore morte, et où l’on commence à penser aux bonnes résolutions. Et comme chaque hiver pour Sébastian c’est le moment de souffler, un moment de paix entre deux fêtes anxiogènes. Il est assis sur le rebord de sa fenêtre, observant la neige valser dans les airs, cette danse entre les éléments, ce corps à corps entre le vent, la neige et les branches dénudées du Tilleul.
Et comme chaque année Sébastian est songeur, et ses songes tournent souvent autour de l’apocalypse qui règne dans sa maison. Dans cette maison, dans un quartier résidentiel comme il en existe tant d'autres aux Etats-unis, pourvu de grandes allées avec des maisons somme toute identiques.
Le chaos règne dans cette habitation, de la cave au grenier, celle-ci se perd dans des relents d’illégalité, de dangerosité, de drogue et quelquefois -rarement- d’amour. Si tant est que l’amour ait pu exister dans cette famille.
Sébastian se souvient d’un temps où le bonheur irradiait sa vie, un temps où il ne se contentait pas de survivre. Un temps où il aimait encore son père, celui à qui il pouvait tout confier sans la moindre peur, un père qui veillait sur sa petite sœur comme il devait le faire. Il savait que son bonheur venait de la rue, mais cela n’avait pas la moindre importance. Du moins il le croyait.
Ce même bonheur disparût doucement, sans trace apparente. D’abord des disputes, sur des choses futiles, “ pourquoi tu rentres tard ?”. Ensuite des cris, “ je veux plus de ça pour nos enfants !!!”. Puis, l’espace d’un instant, le calme revenait. Jusqu’au jour où un coup de feu retentit, quelque part dans une rue inconnue, un départ en urgence dans une voiture qui sentait le tabac, en pyjama, à peine réveillé, en plein milieu de la nuit, un temps. Le temps d’une respiration en comparaison.
Les cris revinrent, plus violents, mais cette fois incompréhensibles. Une langue tout juste maîtrisée, pourtant si belle, qui a délivré des mots si durs. Des objets ont fracassé les surfaces de la maison, d’abord des couverts, puis une tasse contre le sol, une assiette sur le mur, puis deux, puis trois, une chaise renversée, la table basse avait sûrement les ailes cassées, puis un vase éclata sur le mur derrière lequel se trouvait sa chambre.
Après ça son père avait disparu, une virgule dans son début de malheur. Mais dès son retour les échos des rancœurs étaient revenus eux aussi au galop, transcendant l’espace-temps. Puis un jour un coup fut porté, une gifle, devant leurs yeux d’enfants à lui et à sa sœur; peut-être pas la première. Les événements suivants se sont produits très vite, des cris encore, des pleurs, puis un après-midi lorsque son père n'était pas là, une valise à la va-vite, des au revoir bancals, une porte qui claqua, le silence. Elle était partie pour ne jamais revenir. Sébastian n’a plus jamais vu sa mère, et parlé d’elle est proscrit. Son souvenir reste comme un fantôme.
Alors voilà des fois perdu dans l’hiver il pense à elle, ou pas… Il pense à d'autres trucs, pas vraiment intéressants. Le genre de pensées qui traverse l’esprit d’un adolescent. Mais aujourd’hui son esprit embrumé ne lui sort pas des réflexions qui font avancer le monde.
Pourtant cette année n’est pas comme les autres. La maison voisine, celle de l’autre côté du Tilleul, est vide. Madame Smitt est décédée cet été. Aussi loin qu’il se souvienne, Sébastian a toujours connu la vieille femme qui vivait avec une multitude de chats. Chats aventureux qu'il venait sortir de l'arbre lorsqu'ils étaient coincés.
Sébastian avait enfilé un costume noir qu'il avait piqué à un des hommes de son père pour se rendre à l’enterrement. Par la suite, il avait aidé les enfants de la défunte, -qu’il voyait d’ailleurs pour la première fois -, à vider la maison. Les meubles et les bibelots, ainsi que les vêtements étaient partis pour des associations. Les chats avaient été placés dans de nouvelles familles pour les plus jeunes, les plus vieux étant partis en refuge. Sébastian leur rendait visite le plus souvent possible. D’ailleurs il était présent quand Marry est partie, la vieille chatte noire l'a pratiquement vu grandir.
Puis la maison fut mise à la vente.
Il n’est donc pas surprenant d’y voir un camion avec une estampille d’une société de déménagement se garer dans l’allée sous le Tilleul.
Et ce fut la première rencontre. La rencontre de Sébastian avec un ange.
Un jeune homme de son âge, vêtu d’un manteau et d’une écharpe bleu foncé, sauta du dit camion. Il semblait voltiger dans les airs, menant une chorégraphie parfaite avec les flocons. Tout semblait avoir été créé pour ce moment, pour cet instant, seulement pour lui.
Ce jeune homme aux boucles dorées, c’est Eden, autre protagoniste de notre histoire.
Si du point de vue de Sébastian, assis en t-shirt sur le rebord de sa fenêtre, le moment se passe au ralenti et a l’air d’une apparition divine, du point de vue de n’importe qui - avec l’esprit clair, comme le père d’Eden sortant à son tour du camion- la vue est toute autre. Imaginez un jeune homme de 17 ans courir et sauter tel une puce, souillant ce tapis immaculé. Il serait semblable à un fou, peut-être n’a-t’il pas la lumière à tous les étages.
C’est ce qu’aurait sûrement pensé Sébastian si les fumées de Marie-Jane ne se jouaient pas de lui. Il aurait sûrement pris Eden pour un attardé ou un idiot. Pourtant il semblerait que Sébastian passe là l’un des plus beaux moments de son existence, à observer Eden s’extasier dans la neige.
Rien de surprenant au comportement du blond. Vivant en Californie depuis sa naissance, rares sont les fois où il a vu ces petites gouttes d’eau gelées tomber du ciel. Dont le plus souvent derrière un écran. Les films de Noël ont une drôle de saveur sur cette partie du pays.
Sébastian éclate de rire, discrètement, lorsque l’adolescent se laisse tomber en arrière, écarte bras et jambes, et se met à dessiner un ange dans la neige.
Sébastian en rigole encore en pensant que ce jour-là il a vu un ange créer un ange.
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