La Boîte de Pandore

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La Boîte de Pandore

La Boîte de Pandore

M&F


1. Chapitre 1

Les bons moments sont comme des perles précieuses parsemées le long du fil de la vie.



Entouré de rires familiers et rassurants, celui de ma mère se démarque des autres. Généreuse, elle donne sans attendre en retour, se mariant à la perfection avec celle de mon père: confiante et bienveillante.

- Ismaël, qu’est-ce que tu regardes ? m’interroge ma mère espiègle. On parlait de la première fois où tu as invité Ima à la maison. Tu étais tellement excité à son arrivée que tu lui as déblatéré un discours de bienvenue en bégayant..

Mon regard se pose sur la silhouette fine d’Ima qui roule des yeux, gênée.

La tablée éclate de rire me rappelant le sérieux que je prenais face à cette rencontre.

Alors même que j'ai consolé cette petite fille au chignon bas qui serrait fort dans ses bras un nounours violet, nous avons passé le plus clair de notre enfance ensemble. C’était une petite fille très sensible et qui avait souvent besoin de réconfort. Elle fait maintenant partie de ma famille et nous avons souvent laissé penser que nous étions frère et sœur. Tout le monde la considère ainsi. Le repas se poursuit dans la bonne humeur générale sous les taquinerie de ma mère et baigné des rires bruyants de chacun. C’est comme si le temps nous appartenait l’espace d’un instant. Nous nous laissons la possibilité de savourer ce moment. Chaque personne est libre de dire ce qu’il veut, ainsi chaque personne devient narrateur à son tour. Mon père se lève et va chercher une pochette de vinyle dans l’étagère du salon. Il retire soigneusement le disque glissé à l’intérieur et le pose sur le plateau de platine. Puis il abaisse l'aiguille au début de la piste 4 que je reconnais immédiatement au son des premières notes. C’était une tradition d’anniversaire dans mon enfance de nous mettre à danser en mouvements insensés dès que cette mélodie de Nina Simone se mettait à résonner dans la pièce. J’attendais ce moment de la soirée toujours avec la même impatience, et lorsqu’il arrivait, j’étais au summum de mon exaltation, je déversais mon énergie et me remplissait en même temps de vie. En effet, le jazz offre une expérience d'écoute fantastique lorsqu'il est joué sur un disque vinyle. Les sonorités chaudes et profondes du disque de jazz remplissent parfaitement la pièce. Mon esprit flotte parmi cette symphonie et la joie semble être conviée à cette table. Je souhaite que cet instant dure éternellement. Une fois la musique achevée, mon père et moi avons l’habitude de prolonger le moment en interprétant une de nos chansons phares. C’est donc sans surprise qu’il s’approche de moi, et me tend ma basse acoustique en acajou.

- Tu es prêt pour notre duo, fiston ?

Sa demande me fait sourire. J’empoigne la basse qui m’a été offerte à mes six ans avec ardeur et la cale entre ma cuisse droite et ma jambe gauche que je surélève en déviant de la chaise. Puis, mes doigts se mettent automatiquement à gratter les cordes rugueuses d’un geste léger et naturel, signe de mes années d’apprentissage à ses côtés. La mélodie douce et apaisante rythme les battements de mon cœur. Mon père entonne le chant d’une voix suave qui se marie parfaitement avec cette mélodie et qui contraste avec sa tenue légèrement stricte. Vêtu d'une chemise d'un blanc laiteux, et d'un pantalon de costume, il chante les yeux fermés pour se concentrer pleinement sur les paroles de "I got you” de James Brown. Il la connaît par cœur et je le suis à la basse, comme nous l'avons répétée un nombre incalculable de fois. Ses cheveux crépus, son corps athlétique ainsi que ses yeux bruns foncés sont des traits que nous partageons. Ces moments me permettent de me connecter émotionnellement à mon père par la musique. C’est lui qui m’a transmis le goût pour la musique, surtout le jazz. Il peut me parler pendant des heures de ses artistes préférés comme Django Reinhardt, Ray Charles ou Nina Simone. Mais aussi de tout ce qu’il y a à savoir pour écrire mes morceaux ou improviser en suivant ses vocalises. A la fin de notre petit concert, mon père range ses affaires et s'assoit sur le canapé à l’égard des autres, attendant que je lui raconte tous les détails de ma semaine comme depuis toujours. Nous parlons et rions ensemble comme des vieux amis, pendant de longues minutes.

Quand vient l’heure de partir, il m'adresse un sourire chaleureux. Du coin de l'œil, je remarque qu’Ima se fraie déjà un chemin vers la sortie.

- Nous avons bien joué ce soir !

Je lui renvoie un sourire satisfait et plein de gratitudes.

- Il faut dire que je ne peux pas me permettre de gâcher cette voix ! Ce serait une honte pour la famille…

- Ahahah, oui, tu as raison. D’ailleurs tu as réfléchi à ma proposition ?

- Hmmm, honnêtement je ne sais pas papa. J’apprécie énormément nos moments de jeu entre nous et pour la famille; mais tu sais, s’associer à d’autres musiciens je suis pas sûr d’en avoir envie, pas maintenant en tout cas, je suis concentré dans mes études à la fac.

Son sourire chaleureux ne quitte pas son visage mais je sais qu’il est déçu.

- Je suis désolé papa, peut-être dans 2 ou 3 ans !

- Oui, oui mon fils, nous verrons bien, je ne sais pas encore ce que tu deviendras, mais je sais que ce sera grand dans tous les cas. Aller rentre chez toi maintenant, tu travailles demain.

Me dit-il,en me donnant un coup de coude affectueux et je salue ma mère avec la même douceur avant de rejoindre Ima qui m’attend déjà dehors. Alors que son souffle crée de la fumée tant il fait froid, elle ne semble pas le moins du monde être dérangée par la température.

- Tu attends quelqu’un peut-être ?

- Hmm oui, un indécis qui préfère travailler comme un abruti qu’utiliser ses talents de musiciens pour je sais pas moi peut-être… profiter de la vie.

- C’était une conversation privée !

- Une conversation pas si privée que ça , puisque toute la maison en a profité. D’ailleurs ta mère a déjà fait des pronostics…

- Elle aussi ?!

- Eh oui, vous chantez bien mais chuchoter par contre, c’est pas gagné.

- Ima, c’est plus compliqué que ça…

- Tu te fatigues dans des études qui ne t’intéressent même pas vraiment et tu auras bientôt besoin d’argent pour payer ton loyer !

- Je parie que c’est l’argument de ma mère ça… dis-je en levant les yeux au ciel.

- Bon ok, elle m’a chargée de te rappeler de pas oublier de payer tes factures aussi, mais ça n’a rien à voir, tu dois y aller !

- Je ne me suis quand même pas démené pour entrer dans cette fac pour rien. Même si j’en suis pas si satisfait maintenant, je suis convaincu que ça me mènera quelque part.

- Ok, comme tu voudras monsieur le peureux, dit-elle, en faisant le tour de la voiture afin d'y monter côté conducteur.

Je feins une mine vexée.

- Je ne suis pas peureux, mais précautionneux.


****


Le moteur démarre, déclenchant les feux et l’allumage automatique de la radio. Le son qui passe, un morceau funk, est un de ceux qui nous donne envie d’être libre et de redevenir des gosses incontrôlables.Nous roulons en direction de la sortie de la ville dans cette ambiance sereine et familière avant d’être stoppés par un feu rouge, inutile vu la circulation quasi inexistante. Il fait sombre mais je distingue les nuages qui dissimulent une pleine lune qui semble briller juste pour nous cette nuit. En face de nous, une longue route s’étend sur quelques kilomètres jusqu'à la prochaine ville. Le feu passe au vert au moment où le dernier refrain de la musique s’apprête à être entamé. Je tourne mon visage du côté d’Ima qui n’a encore pas parlé depuis qu'on est monté dans la voiture. Son regard impassible fixant l’horizon obscur ne présage rien de bon. Puis tout-à-coup, la voiture démarre en trombe et sur son visage froid se dessine un rictus mal dissimulé.

- Qu’est-ce que tu fais ? lançai-je, légèrement inquiet.

- Je te pousse à être moins précautionneux.

- Euh…Si tu continues, tu vas surtout nous pousser vers le cimetière !

Sa réponse ne se fait pas attendre puisqu’elle se met à slalomer sur le bitume juste assez éclairé pour éviter de justesse, et assez maladroitement les trous dans le sol et les bords de routes qui nous menacent de rejoindre illico presto le groupe des perdus en pleine forêt qui tombent sur un psychopathe au milieu de nulle part.

- Détends-toi, je gère ! Mon père a beau avoir plein de défauts, mourir au volant n’est pas un principe “politiquement correct” qu’il m’a appris. Et il me tuerait une deuxième fois si ça faisait un scandale !

Bien que ses trajectoires me paraissent très aléatoires, sa concentration et sa confiance en soi me permettent d’apprécier d’autant plus le trajet que je constate en effet avec surprise que je suis encore en vie après chaque virage. La chanson nous rentre dans la tête et prend possession de cette voiture. Nous chantons à haute voix, complètement à côté de la plaque sur les paroles que nous inventons au fur et à mesure que les paroles sont débitées. Je sens tellement mon cœur battre que je ne sais plus s’il s’agit des sensations de la conduite ou de la musique qui nous percutent les oreilles. Ce n’est qu’au bout du chemin que nous ralentissons et descendons de notre monde irréel, le corps et le mental épuisés par notre virée nocturne.

- Alors, tu vois ça a du bon d'être imprudent quelques fois !

Mon regard fatigué suffit à la faire éclater de rire.

- D’ailleurs, n'oublie pas que le weekend prochain tu dois ramener un cadeau pour la fête des mères.

Personnellement j’ai déjà une idée en tête.

- Je crains que tu aies de la concurrence cette année.

- Elle a un fils caché ?

- C’est très bas, même venant de toi.

- Non mais il faut avouer que tu n’es pas doué pour les cadeaux. Je te rappelle que pour son anniversaire tu lui as offert un shampooing, dit-elle en rigolant.

- Mais elle se plaignait d’avoir des pellicules, j'ai juste essayé de joindre l’utile à l’agréable.

- Bref, on sait tous que tu vas être le pire cadeau encore une fois. Tu finiras par t’habituer t’inquiète pas, dit-elle en me tapotant l’épaule.

Je lève les yeux, exaspéré à l’idée d’être cette année une fois de plus le pire cadeau.

- J’ai confiance en mon cadeau, et le weekend prochain nos rôles vont s’inverser !

- Mais oui bien sûr ! Aller va dormir c’est la fatigue qui parle à mon avis.

Sur ses rires moqueurs, je sors de la voiture et rentre dans mon appartement.

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