Je suis Coelia, la porte-flamme.

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Je suis Coelia, la porte-flamme.

Je suis Coelia, la porte-flamme.

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1. Chapitre 1.1 - Moi, Augustin, notre enfance.

Quand j’invoque les souvenirs de mon enfance, ils cheminent une si longue distance que je doute qu’ils soient vraiment les miens. Ces bribes appartiennent sûrement à une autre moi, une Coelia distincte, évanouie. C’est que toute cette mémoire enfouie dans un coin très reculé de mon esprit se déroule dans un monde qui a cessé d’être.

Ah, à peine commencé, et déjà je me sens illégitime à poursuivre. J’ai conscience qu’il y a quelque chose de vaniteux, de fat à ressasser sa vie, et à la livrer publiquement comme je le fais ici. De nombreux personnages illustres s’y sont essayé, empereurs et philosophes, avec peut-être plus de légitimité que moi.

Pour ma part, je ne suis pas née dans le pourpre et je ne dispose pas de courtisans hagiographes pour écrire mes mémoires. Telle que vous me voyez, je ne suis aujourd’hui qu’une simple femme fugitive, bannie de ce monde et rescapée sous la surface de la terre. Si je cherche à rassembler tous les éléments qui, bout à bout, forment mon existence, c’est peut-être pour témoigner de la force qui m’a poussé jusqu’ici. Pour livrer ce récit à ceux qui me succèderont, et leur dire que rien n’est jamais tout à fait perdu. La volonté se niche parfois dans le creux du désespoir, et nous sommes plus forts que ce que nous croyons.

Ma venue au monde, je pense, fut un événement joyeux et fêté par toute ma famille. Ma mère et mon père se réjouissaient d’avoir une fille, qui venait juste après Augustin, mon aîné d’à peine une année. A ce niveau de ma mémoire, j’ai peur que tout ne soit que des images reconstituées d’après le récit qu’on m’en fit, mais enfin ! Est-ce pour autant moins réel ?

Notre demeure était vaste, cossue, et ancrée dans une histoire longue de plusieurs siècles. En témoignaient des statues de taille d’Homme, mes ancêtres, qui garnissaient le vestibule, avec ce côté franchement grotesque que charrient toujours les portraits plâtrés monté sur piédestal. Avec Augustin d’ailleurs, très tôt, nous avons appris à nous en moquer gentiment, en utilisant les doigts pointés de nos augustes aïeux en guise de portemanteau, sous le regard réprobateur et un peu complice de notre mère.

Montée sur deux étages, cette maison m’apparaissait comme tout un univers. Chaque nouvelle pièce, pour l’enfant casse-cou que j’étais, représentait un nouvel espace d’exploration. Je me souviens d’abord d’une première expédition avec Augustin dans les sous-sols, où se trouvaient des cuisines immenses et désaffectées. Croulaient là sous la poussière les poêles de cuivre, les fourneaux à charbon, couteaux, fourches à volailles et lardoirs, et enfin tous les ustensiles d’une époque plus civilisées, et qui étonneraient nombre de mes contemporains.

Mon aîné, matois, m’avait pris par la main, je m’en souviens – vitrail, que ce souvenir est pénible. « C’est la que papa vient en secret », il chuchotait en enrobant sa petite voix fluette de tout le sérieux profond et adulte qui convient aux plus importants secrets. Et moi, candide, je retenais mon souffle devant ce mystère, alors qu’il ouvrait le vantail du cellier. Brusquement une ombre surgit, et je criais de toute mes forces. Augustin aussi, il hurla à pleins poumons, et la pauvre chauve-souris dérangée ne savait plus où aller, elle criait aussi sans doute, en voletant cahin-caha au plus loin de nous et en se heurtant à tous les murs. Alerté, notre père descendit en trombe, et nous trouva serrés l’un contre l’autre en pleurnichant, au milieu des bouteilles empoussiérée qu’il gardait à vieillir.

Il nous administra sans doute une bonne correction. Je préfère l’imaginer rire à s’en tenir les côtes. Depuis lors, la chauve-souris devint une espèce de blague entre mon frère et moi. Ça n’avait pas beaucoup de sens, mais nous avons longtemps continuer à nous dire « attention à la chauve-souris » au moment d’ouvrir des portes. Malgré toute l’idiotie de la remarque, cela nous faisait toujours pouffer.

Les repas étaient, eux aussi, heureux. Nous faisions bonne chère et, chose appréciable entre toute, les enfants n’étaient point exclus de la grande tablée. Ma mère et mon père savaient s’entourer de personnages atypiques, qu’ils invitaient souvent à dîner. L’un d’entre eux, un poète à moitié vagabond, venait se régaler des vins de mon père et, quand il était assez enivré, trouvait le courage de déclamer sa nouvelle tentative (je me souviens d’un texte intitulé « le pélican »). Tout le monde l’écoutait avec un mélange d’admiration pour le bravache, et de gêne pour le naufrage. Mais on l’applaudissait chaleureusement à la fin quoi qu’il en soit.

Mon frère se penchait à mon oreille, et il me disait « bah ! Quel mirliton, celui-là ! je peux faire mieux que ça », en essayant une posture de docte pénétré. « Chiche », je répondais. Le soir-même il rédigeait un brouillon de futur chef-d’œuvre à la chandelle, et je me souviens de son visage se décomposer petit-à-petit devant les trois premières lignes innocentes qu’il mâchurait de ratures. Et puis, après un long moment immobile, de se récrier : « je suis trop fatigué ! Une prochaine fois ! Non, ne lit pas ce que j’ai fait, c’est encore trop précoce… ».
Bien entendu, il n’y eu jamais de prochaine fois.

Le poète en question fut tué, mais j’ignore les détails de sa mise à mort.

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