11 Décembre 1983 – 22H43.
- Ici le Chef de la police, message important à toutes les unités de Pitgam. Je vous donne l’ordre de vous rendre immédiatement à l’Hôpital psychiatrique Saint Jude et d’attendre mes ordres. Je répète, rendez-vous à l’Hôpital Saint Jude. J’ai reçu un coup de fil anonyme inquiétant affirmant que le docteur Kuroï E. Austen serait en ce moment même en train de faire des expériences sur les personnes hospitalisées là-bas. De nombreux cris d’agonie ont été entendus en provenance de cet endroit sinistre. Nous devons à tout prix nous rendre sur place et découvrir ce qu’il s’y trame. La priorité est de s’occuper des patients puis d’arrêter vivant le docteur Austen, afin d’obtenir des explications. Je répète, il nous le faut vivant. Fin de transmission.
11 Décembre 1983 - 22H59, en plein hiver.
Toutes les troupes de police de Pitgam s’étaient retrouvées devant l’Hôpital Saint Jude. Elles attendaient impatiemment les ordres du Chef Koundzwein, inquiètes face à la situation. Le Chef K arriva quelques minutes plus tard, accompagné des forces spéciales, surprenant toutes les troupes présentes sur les lieux renforçant le sentiment d’inquiétude de chacun. Ce fut de courte durée car le chef de la police se positionna face à elles et commença immédiatement à leur expliquer son plan, mettant ainsi fin aux doutes disséminés parmi les troupes. Le plan était relativement simple, il s’agissait de faire entrer les forces spéciales en premier car, étant plus lourdement équipées, elles avaient moins de risques d’être blessées en cas de conflit. Elles étaient chargées d’arrêter le docteur Austen pendant que les troupes de police devaient, quant à elles, faire évacuer l’Hôpital et conduire les patients, certains probablement blessés, dans un lieu où on pourrait les prendre en charge temporairement tout en mettant en place le nécessaire pour les transférer ailleurs, loin du docteur. Pendant ce temps, les stagiaires, eux, devaient couvrir toute la façade extérieure du bâtiment afin d’empêcher que le docteur ne puisse s’échapper.
- Quant à moi, j’accompagnerai les forces spéciales dans la capture du docteur Austen,
conclut le Chef K.
Il regarda les troupes amassées devant lui et était fier de voir autant de monde présent. Il portait sur lui un gilet par balles et avait sorti son arme de service qu’il tenait fermement dans sa main droite. Il leva sa main gauche afin de récupérer l’attention des troupes.
- Mon adjoint supervisera l’opération d’évacuation afin que les forces spéciales et moi-même puissions nous concentrer totalement sur notre cible. Maintenant au travail, ordonna le Chef K, tout en se dirigeant vers l’équipe d’intervention.
Tout le monde fut surpris par la rapidité avec laquelle le Chef de la police avait élaboré ce plan, faisant participer l’ensemble des troupes présentes. Les plus surpris furent bien évidemment les stagiaires à qui il avait aussi attribué un rôle dans l’opération. Bien que mineur, ils avaient tout de même la responsabilité de protéger les personnes qui allaient être évacuées et s’assurer qu’elles ne manqueraient de rien tout en couvrant l’extérieur du bâtiment. Une fois que le plan était parfaitement expliqué et compris, chacun se mit en position. C’est ainsi que commença une longue nuit angoissante. Tout le monde attendait le signal du chef de la police. L’attente parut interminable et, plus celle-ci durait, plus l’angoisse grandissait à l’intérieur de chacun. Le plus angoissé était sans hésitation le Chef K, qui parvenait cependant à le dissimuler. Pourtant ce dernier semblait ailleurs, comme s’il craignait quelque chose ou bien qu’il sût ce qu’il allait découvrir, impossible de le deviner. Puis d’un coup, comme résigné à faire ce qu’il devait faire, le visage du chef changea et se durcit violemment, et ce fut à ce moment précis qu’il donna le signal. Le Chef K suivi de près
l’équipe d’intervention plaçant toute sa confiance dans son adjoint pour diriger les troupes se trouvant à l’extérieur.
Une fois à l’intérieur, ils remarquèrent que les lieux étaient vides. Ils étaient sans vie, de sorte qu’on n’entendait aucun bruit dans le bâtiment, lui qui d’habitude était si bruyant. Le Chef K comprit que quelque chose ne tournait pas rond et se promit de le découvrir. Il en était sûr car il connaissait bien cet endroit, il en avait peur même car de nombreuses fois, il était venu assurer la sécurité durant le traitement de certains cas. Il prit la tête de file car habitué à cet endroit, il savait exactement où se trouvait le bureau du docteur Austen, pourtant une petite voix dans sa tête lui
murmurait qu’il n’y serait pas. Au fond de lui, il voulait croire que le coup de fil qu’il avait reçu plus tôt dans la journée n’était qu’une simple farce faite par des jeunes du coin. En tant que chef de la police, il avait le devoir d’assurer la sécurité des citoyens, y compris ceux internés dans l’établissement. Le bureau d’Austen se trouvait au 3ème étage, le dernier, celui où les cas les plus extrêmes étaient placés. Il s’y trouvait suite à sa demande car, n’ayant pas de famille et aimant beaucoup son travail, il avait souhaité être au plus proche de ses patients afin de mieux les aider.
Pendant que le Chef K se remémorait des souvenirs de cet endroit, il n’avait pas remarqué qu’il s’était subitement mis à courir. Son instinct avait pris le dessus et il fut satisfait, malgré son âge, de voir que son corps parvenait toujours à effectuer de telles prouesses, un sentiment qui laissa rapidement place à nouveau à l’angoisse. Il avait connu cet endroit comme un espace apaisant pour les esprits souffrants qui s’y trouvaient, l’obligeant cependant parfois à intervenir lorsque certains patients devenaient violents avec les infirmières. Désormais, il était dans un endroit marqué par
l’horreur. Ne perdant pas plus de temps à se remémorer des souvenirs, il décida d’accélérer le pas, sentant que quelque chose de grave allait se produire. Plus le Chef K avançait, plus il avait l’impression que le chemin qu’il était en train de parcourir s’allongeait, bien qu’en vérité, malgré la taille impressionnante du bâtiment, il ne fallut que quelques minutes aux forces spéciales pour se rendre au bureau de la cible. Sans aucune surprise, ils le trouvèrent vide. Le Chef K ordonna de prendre quelques instants pour fouiller le bureau en espérant trouver quelque chose sur la localisation précise du docteur. En fouillant l’un des tiroirs, il tomba sur un plan du bâtiment qu’il ne reconnaissait pas et découvrit l’existence d’un ascenseur caché menant directement au sous-sol de l’hôpital psychiatrique.
- Ce plan est nouveau. On dirait qu’il y a eu des travaux ici sans que j’en ai eu connaissance, chuchota le Chef K à lui-même.
Il fut cependant déconcerté par la facilité avec laquelle il avait trouvé le plan du bâtiment et comprit que le docteur Austen savait qu’il viendrait et que ce dernier voulait le conduire quelque part, le plan lui permit de comprendre qu’il s’agissait du sous-sol du bâtiment. Il ne savait pas ce qui l’attendait en bas mais sa curiosité fut trop grande, il décida de s’y rendre. Poussé par son instinct qui lui disait d’y aller seul, il se tourna vers ses coéquipiers.
- Il n’est pas ici, allez aider mes officiers à évacuer le plus de monde possible, je me charge de cet étage, ordonna le Chef K.
- Nous ne pouvons pas vous laisser seul chef, vous le savez, dit celui qui semblait être à la tête de l’équipe. Sa voix semblait déformée à cause de son casque. Il était ainsi difficile de reconnaître l’identité de cette personne.
- Vous voyez bien qu’il n’y a personne d’autre que nous à cet étage, je ne risque rien, expliqua le Chef K. Allez-y ! Vous serez bien plus utiles en bas qu’ici.
Les forces spéciales décidèrent de fouiller une dernière fois l’étage pour avoir la conscience tranquille et conclurent que le chef avait raison. Il ne pouvait rien risquer ici et d’un signe de tête ils acquiescèrent, malgré eux, puis entamèrent leur descente vers les officiers éparpillés dans le reste du bâtiment. Le Chef K, quant à lui, attendit qu’ils fussent tous bien partis avant de quitter le bureau, avec le plan en main, pour se rendre à ce fameux ascenseur. Conformément aux indications, celui-ci se trouvait dans l’une des chambres de l’étage et fut étonné quand il se rendit compte que la chambre en question était celle du patient numéro 13, le plus dangereux que le docteur Austen avait eu à sa charge. En posant sa main droite sur la poignée de la chambre, des souvenirs lui revinrent en tête dont celui de la mort de ce dernier, à laquelle il avait malheureusement assisté. Cela faisait plusieurs années maintenant qu’il n’était pas revenu dans cette chambre cependant le destin semblait en avoir décidé autrement. Ne pouvant plus reculer désormais, il tira sur la poignée de la porte, laissant ses souvenirs douloureux dans un coin de sa tête. Il fut soulagé une fois dedans, car à première vue, il ne trouva rien de particulier. Le docteur avait dû faire nettoyer la pièce. Ne pouvant
plus reculer, le Chef K dût faire abstraction une nouvelle fois de ses douloureux souvenirs et fouilla la pièce du regard sans trouver la cage d’ascenseur.
- Évidemment qu’elle n’est pas ici, elle doit être cachée, sinon pourquoi avoir omis de me transmettre une telle information, remarqua le Chef K.
Il referma la porte derrière lui afin de pouvoir observer toute la pièce. C’est alors que ses yeux s’arrêtèrent sur l’un des murs et remarqua qu’un dessin était accroché dessus. Ce dernier représentait un clown qui disait :
Appuyez sur mon gros nez rouge les enfants.
Ce dernier terrifia le Chef K qui se demandait ce que cela faisait là. Le docteur Austen, tout comme lui, savait que le lit du dangereux patient numéro 13 se trouvait, quelques années auparavant, juste en dessous du dessin. Son instinct lui disait qu’il devait appuyer dessus. Or, sa raison lui dictait de ne pas le faire, que cela devait être un piège posé par le docteur.
- Depuis que je suis arrivé ici, tout a été fait pour me conduire à son bureau sans pour autant avoir rencontré le moindre obstacle. Puis le plan du bâtiment m’a quasiment été donné pour me conduire ici, ça ne peut pas être qu’un simple piège c’est forcément autre chose. Il doit vouloir me montrer quelque chose, en déduisit le Chef K. Mais quoi ? se demandait-il.
Alors qu’il avançait lentement sa main vers le dessin, la peur commença à se faire ressentir dans son corps. Des gouttes de sueur commencèrent à couler le long de son visage tant il craignait ce qu’il allait arriver. Il hésita de plus en plus, se demandant si tout cela n’était au final pas un piège. Il se remémora la situation et mit fin à ses doutes en se rappelant qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Plus il perdrait du temps de cette manière et plus les risques qu’un évènement tragique survienne augmentaient. Il n’y avait qu’un seul moyen d’en avoir le cœur net et il ne pouvait le savoir qu’en appuyant dessus. Et c’est ce qu’il fit. Cela mit fin à sa frayeur quand il se rendit compte que sa déduction était juste, il ne s’agissait pas d’un piège. En appuyant sur le nez du clown, il se rendit compte que son doigt avait
enclenché quelque chose. En observant le mur derrière lui s’ouvrir, laissant place à la cage d’ascenseur, il avait compris qu’il venait d’actionner un interrupteur. Se sentant de plus en plus proche du docteur, le Chef K emprunta l’ascenseur pour accéder au sous-sol, convaincu qu’il y serait. Une fois à l’intérieur, il actionna le seul bouton qui s’y trouvait. Le long de la descente, il se remit à penser à tout ce qui s’était passé depuis le coup de fil anonyme. Encore à ce moment là, il trouvait étrange le fait qu’il n’y avait personne dans l’hôpital mis à part les patients alors que, vu l’heure, des infirmières de nuit étaient censées être présentes. À cela, se rajoutait ce fameux plan dévoilant un ascenseur secret qui ne se trouvait certainement pas par hasard dans l’ancienne chambre du patient numéro 13. Enfin, il y avait le dessin en question et l’interrupteur caché derrière. Pendant sa descente, il reçut un message de son adjoint faisant état d’un tragique bilan. Certains patients manquaient toujours à l’appel alors que d’autres avaient connu une fin des plus horribles. Le Chef K eut tout juste le temps de comprendre ce qu’il se passait vraiment dans la tête du docteur, que l’ascenseur venait d’atteindre sa destination. Les portes grincèrent lorsqu’elles s’ouvrirent, trahissant la présence du Chef K, lui faisant aussitôt perdre l’avantage de la discrétion. Il ne voyait rien devant lui, mis à part une lumière au
bout du couloir, à l’opposé de lui. Il s’avança prudemment vers celle-ci, convaincu que le docteur voulait le mener ici. Revenir en arrière pour chercher des renforts reviendrait désormais à abandonner son unique chance d’appréhender le suspect. À présent, comme ils l’avaient souhaité, il était seul. Au fond de lui, il savait qu’il trouverait le docteur à quelques mètres de sa position. Le Chef K s’avança lentement en se promettant qu’il ne reculerait pas devant les obstacles qu’il allait rencontrer. Ne laissant aucune place à l’hésitation, il prit son courage à deux mains et se dirigea vers
la lumière. À mi-chemin entre l’ascenseur et la lumière, il commença à entrevoir une porte donnant accès à une pièce tout juste plus éclairée que le couloir dans lequel il se trouvait. À mesure qu’il gagnait du terrain, des bruits commençaient à se faire entendre. De plus en plus forts mais répétitifs, comme si une personne impatiente faisait les cent pas. Ce n’est qu’arrivé à proximité de la lumière, qu’il distingua une pièce dans laquelle résonnait une mélodie. Il s’agissait des Quatre Saisons de Vivaldi. Habitué à celle-ci, il détermina sans grande difficulté qu’il s’agissait du printemps. Sa saison préférée de l’année, pensa-t-il. C’était là l’unique moyen permettant au docteur d’être entièrement concentré lorsqu’il effectuait un travail qu’il jugeait capital. Il jeta un rapide coup d’œil dans la pièce par précaution et remarqua qu’il y avait une seconde entrée, sur le mur gauche. La porte était ouverte permettant d’entrevoir l’intérieur. Ainsi, la faible lumière dans cette dernière lui permit de distinguer une silhouette et il prit la décision de s’approcher lentement mais sûrement, espérant qu’il n’avait pas encore été découvert.
- Vous êtes en retard, très cher Koundzwein. Mais je suis content que vous soyez finalement parvenu à trouver cet endroit, dit la voix à l’intérieur de la pièce. Le Chef K la reconnut aussitôt tant elle était unique en son genre. En parallèle, il remarqua que la mélodie s’atténuait progressivement.
- Docteur Austen est-ce bien vous ? demanda le Chef K, craignant d’avoir visé juste.
- Cela vous surprend-t-il ? répondit l’homme d’âge mûr, observant son interlocuteur du coin de l’œil.
- Que manigancez-vous ?
- Vous le savez très bien, sinon pourquoi avoir réquisitionné autant de monde pour une simple visite de courtoisie ? Autant de personnes venues exprès pour assister à ma dernière expérience. Vous ne pouvez pas savoir combien cela me flatte Chef Koundzwein.
Il n’en fallut pas plus au Chef K pour savoir qu’il préparait quelque chose d’effroyable. Il avait sur son visage un grand sourire et des yeux écarquillés. Le chef de la police pouvait le voir grâce à un miroir accroché sur le mur, en face du docteur. Ce dernier était en proie à une parfaite extase et pouvait difficilement le cacher. À la vue d’une telle folie, il sût qu’il devait intervenir rapidement. Il choisit donc d’entrer dans la pièce pour voir de ses propres yeux ce que le docteur mijotait. Quand il entra, il fut aveuglé par la lumière, soudainement plus forte, l’obligeant à s’arrêter quelques instants afin que ses yeux puissent s’accommoder. Dès lors, il parvint enfin à découvrir Austen qui n’avait aucunement prit la peine de se retourner. Il maintenait son regard sur ce qui se trouvait sur la table en face de lui. C’était un homme d’environ 1m75, doté d’une musculature imposante et qui portait sa blouse blanche, maculée par des tâches rougeâtres. La mélodie redevint soudainement plus forte, probablement dans le but de renforcer le mystère autour de son travail. Le Chef K n’eut alors d’autre choix que de pointer son arme sur le docteur, espérant le faire cesser toute activité.
- Mains en l’air, docteur Austen, cessez ce que vous êtes en train de faire et tournez-vous, ordonna le Chef K. Vous êtes en état d’arrestation pour actes de torture sur les patients dont vous avez la charge.
Mais le docteur continua son travail, dédaignant accorder tout attention à l’ordre qu’il venait de recevoir. La seule chose qu’il fit fut de rire. Le son qui sortit de sa bouche était machiavélique et faisait froid dans le dos. Un sentiment d’inquiétude commençait progressivement à envahir le Chef K.
- Vous ne m’arrêterez pas mon cher Koundzwein. Seul, vous n’avez aucune chance et vous le savez aussi bien que moi. Si vous ne souhaitez pas mourir, vous me laisserez partir. De toute façon, j’ai bientôt terminé, expliqua le docteur Austen sans quitter des yeux son travail.
- Pourquoi n’avez-vous pas peur ? Et pourquoi n’avez-vous pas pris la fuite si vous saviez que nous allions venir vous arrêter ? Quel est votre but ? demanda le Chef K qui continuait de pointer son arme sur le docteur.
- Eh bien , c’est tout simplement parce que c’est moi qui ai ordonné à l’un de vos stagiaires de passer ce coup de fil. L’un des vôtres travaille pour moi. Je dois admettre que je vous surveille depuis quelques temps mon cher Koundzwein. C’est pourquoi je n’ai pas pris la fuite. De plus, vous n’avez aucune preuve contre moi si ce n’est un coup de fil et de vulgaires cadavres aux étages supérieurs. Difficile d’affirmer que leurs blessures sont le fruit de mon travail, sachant que ces patients ont pour habitude de s’auto-mutiler, expliqua le docteur tout en maintenant le suspens, comme s’il cherchait à gagner du temps.
- En temps normal cela suffirait à faire fuir n’importe qui, d’autant plus que les preuves sont ces « vulgaires » cadavres. Non, vous devez très certainement cacher quelque chose d’autre qui vous rend si confiant.
- Ce n’est qu’aux portes de la mort que nous pouvons découvrir le sens véritable de la vie, lâcha le docteur.
Cette phrase eut l’effet d’un coup de poignard en plein dans l’estomac du Chef K. Ce dernier ne s’était pas attendu à cela et se rendit compte qu’il avait instinctivement baissé son arme.
- Alors c’était bien vrai. Je n’en étais pas sûr jusqu'à maintenant, mais votre réaction me prouve que si, ricana le docteur Austen.
- Vous fichez pas de moi. Comment se fait-il qu’après tout ce qui s’est passé, vous osez à nouveau prononcer ces mots devant moi ? questionna le Chef K.
Il était déconcerté par la tournure des évènements et décida d’écouter le docteur afin d’en savoir plus sur son véritable objectif.
- Oh voyons, je pense que vous devez savoir pourquoi, ou du moins avoir une petite idée. Mais si vous acceptez ma proposition, vous saurez tout dans les moindres détails ! avoua finalement le docteur. Rejoignez-moi et ensemble nous pourrons enfin… Voyons, où ai-je la tête ? Je ne vais quand même pas tout vous dévoiler aussi facilement. Veuillez me pardonner cette erreur de débutant, très cher Koundzwein.
Aux yeux du Chef K, tout cela devait être une farce vu le comportement du docteur. Pourtant, la prononciation de ces mots lui avait fait comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un jeu pour lui. Cela expliquait une partie de son comportement mais certainement pas le fait qu’il était aussi joyeux et sûr de lui. Le Chef K en était sûr, le docteur préparait quelque chose de terrible et cette comédie ne servait qu’à le distraire.
- Prenez le temps qu’il vous faut pour me répondre. Toutefois, je vais devoir vous laisser, j’ai quelque chose à faire. Sachez cependant que je suis impatient à l’idée de notre prochaine rencontre Chef Koundzwein, dit-il en ricanant.
Le docteur actionna un bouton provoquant l’ouverture d’une trappe au plafond, à peine visible, d’où chutèrent des morceaux de corps sur le Chef K, permettant ainsi au docteur de prendre la fuite à travers un énième passage secret qu’il emprunta. Il fallut quelques instants au chef de la police pour reprendre ses esprits, choqué de la distraction infâme employée par le scientifique. Cependant, il parvient à se ressaisir et retira les morceaux de cadavres sans pour autant oublier de maugréer une injure à cause de son erreur. Le passage toujours accessible, il en profita pour l’emprunter afin de poursuivre le docteur Austen. Cette fois-ci, il serait sur ses gardes et ne le laisserait pas s’échapper. Quand il arriva au bout du tunnel, il vit l’une de ses nouvelles recrues étendue sur le sol, assommé par le docteur durant sa fuite, alors qu’il avait probablement tenté de l’arrêter. Merde, pas ça, pensa-t-il.
- Hé ça va ? Bordel, il est sonné, jura le Chef K.
Il secoua le jeune homme, lui donnant au passage quelques gifles afin qu’il reprenne ses esprits, ce qui eut un effet immédiat. Étourdi, il cligna plusieurs fois des yeux tentant de comprendre où il se trouvait. La seule chose qu’il distinguait était une silhouette qui lui parlait. Quelques secondes plus tard, alors que sa vue réussissait à s’accommoder à son environnement, il essaya alors de s’exprimer mais en vain, le Chef K ne lui laissa pas l’occasion d’en placer une.
- Je n’ai pas le temps de vous expliquer mais venez avec moi, nous partons à la poursuite du
docteur Austen, expliqua le Chef K tout en relevant son officier.
C’est alors que le jeune homme et le Chef K partirent en direction des bois. Après une bonne demi-heure de recherches, ils tombèrent sur une cabane abandonnée et purent apercevoir au loin de la lumière à l’intérieur. Tous les deux se rapprochèrent lentement par précaution en cas d’éventuels pièges mais ils finirent par entendre des cris en provenance de cette dernière. C’était sûrement le docteur Austen avec l’un des patients manquants à l’appel. Ils s’approchèrent discrètement de la cabane. Le Chef K regarda par la fenêtre et aperçut le docteur Austen, agacé par la tournure des évènements. Il n’arrêtait pas de crier des injures à son encontre. Il nota la présence d’un homme âgé d’environ une trentaine d’année, attaché à une chaise. Il ne fallut pas grand-chose pour déterminer qu’il devait se trouver là depuis quelques jours. Du sang coulait le long de ses jambes. Ils se lancèrent un regard et prirent la décision d’entrer tous les deux par la porte de devant, arme en main.
- Ne bougez plus docteur Austen, c’est fini pour vous, cria le Chef K.
Cependant, le docteur Austen ne semblait pas surpris de sa présence, au contraire il cessa toute injure envers le chef de la police et semblait désormais plus calme que jamais. Ce changement soudain de comportement alarma le Chef K qui était désormais convaincu qu’il venait à nouveau de tomber dans un piège.
- Toujours en retard, à ce que je vois très cher Koundzwein. Je suppose que votre présence ici signifie que vous ne comptez pas vous joindre à moi. J’admire votre témérité. Mais ne l’ai-je vous pas dis plus tôt? Vous ne pouvez rien faire pour m’arrêter, se moqua-t-il sans surprise de les voir tous les deux.
Concentré sur les moindres faits et gestes du docteur Austen, le Chef K en oublia presque la présence du jeune homme qui s’était rapproché de ce dernier. Subitement, il pointa son arme sur la tête de son supérieur. Ce dernier fut décontenancé. Il se maudit de ne pas avoir pensé à cette possibilité plus tôt. Il fit rapidement un retour sur les précédents évènements afin de comprendre comment un tel détail avait pu lui échapper.
- C’était donc ça le piège. Je suppose que c’est lui qui a passé le coup de fil pour me prévenir de vos manigances ? J’aurais dû me douter que face à quelqu’un de votre envergure, vous étiez capable d’un tel geste. Non au contraire, j’aurais du m’y attendre depuis le début, c’était si prévisible, dit le Chef K qui esquissa une léger sourire à peine visible.
Soudain, un coup de feu retentit derrière lui. La jeune recrue avait tiré mais, aussi inattendu que cela pouvait être, ce fût le docteur qui fût touché au niveau de l’épaule et non le Chef K.
- Comment est-ce possible, pourquoi m’avoir tiré dessus ? Pourquoi me trahir ? cracha le docteur qui couvrait sa blessure de sa main pour éviter que trop de sang ne s’échappe de cette dernière.
- Vous aviez raison, seul je n’aurais pas réussi à vous arrêter. C’est pourquoi ce jeune homme m’est venu en aide. Vous vous demandez certainement comment cela a pu se produire, vous qui étiez si sûr que votre plan était parfait. Hé bien prenons quelques instants pour clarifier les choses, voulez-vous?
Le Chef K s’assit sur l’une des tables en bois se trouvant à l’opposé du docteur Austen. Il sortit son paquet de cigarettes, en sortit une et l’alluma. Il prit une grande bouffée de nicotine et libéra la fumée de ses poumons directement dans la pièce, créant ainsi un faible nuage. Le docteur Austen détestait cette odeur et se mit à tousser ce qui accrut sa douleur. Étant toutefois quelqu’un ayant de bonne manière, il s’était couvert la bouche lorsqu’il toussa, ce faisant, du sang giclait abondamment de sa plaie. L’officier, quant à lui, s’était chargé de libérer le patient. Cependant, il s’arrêta en plein élan et remarqua que celui-ci était décédé. Ce dernier était sans doute mort des actes de torture que le docteur Austen avait réalisés sur lui alors qu’ils étaient à sa poursuite. C’était la première fois qu’il voyait une personne morte et ne put exprimer mot face à une telle horreur.
- Il y a quelques jours, il est venu vers moi pour me raconter votre petite discussion, dit le Chef K qui n’avait prêté aucune attention à la réaction du nouveau. Ce sont vos mots qui m’ont mis la puce à l’oreille. J’ai alors pris la décision de tomber volontairement dans votre piège pour obtenir la preuve dont j’avais besoin afin de vous arrêter. Il fallait que j’en ai le cœur net. Désormais, il est plus qu’important de mettre fin à vos machinations. Vous savez ce qui vous attend désormais, expliqua le Chef K. Vous êtes en état d’arrestation Kuroï. E. Austen.
Ensemble, ils emmenèrent le suspect à l’hôpital Saint Jude pour qu’une unité puisse le conduire au poste de police où il serait mis derrière les barreaux. Le Chef K avait demandé au nouvel officier de maintenir le docteur le long du trajet pendant que lui-même avait gardé son arme dans la main, au cas où il tenterait de s’échapper. Plus tard dans la soirée, devant l’hôpital Saint Jude, une fois que l’opération était terminée.
- Que veulent dire ces mots, chef ? demanda le jeune officier.
- C’est une longue histoire mais tu as prouvé ta valeur le bleu. Tu es nouveau, n’est-ce-pas ? Que dirais-tu de devenir mon nouvel adjoint et ainsi je t’expliquerai tout. Cela te va ? déclara le Chef K.
- Mais vous n’avez pas déjà un adjoint, chef ? dit-il surpris par cette proposition inattendue malgré les derniers évènements.
- Il va remplir un autre rôle dans 2 mois ! D’ici-là, il pourra te former comme il se doit, dit le Chef K en rigolant fort.
- Qu’attendons-nous alors ? répondit la jeune recrue avec un large sourire sur les lèvres.
- Mais j’y pense c’est quoi ton nom ?
- Mike Meyer, chef ! dit-il fièrement, comme s’il s’était préparé à ce moment toute sa vie.
- Alors Mike, retourne à l’entrée voir si les autres ont fait du bon boulot et donne-leur un coup de main si nécessaire.
Une fois de retour, le Chef K rejoignit son vieil acolyte.
- Avez-vous rempli votre mission adjoint ? demanda le Chef K.
- Avec du mal mais nous avons réussi. Ils sont tous atteints ici. Certains nous ont posé quelques difficultés pour évacuer l’établissement. D’autres ont même tenté de nous attaquer, nous obligeant à utiliser la force, expliqua l’adjoint. Mais dis-moi, derrière toi, c’est qui ?
Le Chef K n’avait pas remarqué que son futur adjoint l’avait rejoint discrètement et qu’il se
tenait derrière lui.
- Cher adjoint je te présente Mike Meyer. Il prendra ta place après ton départ. Je te le confie, essaie de le former du mieux que tu peux pendant les deux prochains mois, ce sera ton dernier boulot pour moi, ordonna le Chef K.
- Moi, je dois m’occuper de mon successeur ? Sympa comme dernier boulot. Et vous qu’allez-vous faire maintenant ? demanda l’adjoint.
Mais le Chef K était déjà parti et n’entendit pas sa question. Il se dirigea vers la voiture où était menotté le docteur Austen et alluma sa cigarette. La vitre arrière était ouverte et il était ainsi possible de discuter avec le prisonnier.
- Cela fait du bien de pouvoir fumer sa clope après avoir arrêté quelqu’un, vous ne croyez pas doc ? dit le Chef K en rigolant.
- Nous n’en avons pas fini, nous nous reverrons plus vite que vous le croyez, mon cher Koundzwein, dit le docteur Austen.
- Permettez-moi d’en douter et je vais vous dire pourquoi. Ce que vous avez fait vous vaudra la prison à perpétuité, au mieux la peine de mort.
- Heureusement pour moi, celle-ci a été abolie il y a peine deux ans par notre cher ministre Robert Badinter grâce à son excellent plaidoyer pour la faire disparaître, ricana le futur détenu.
- Je ne faisais par référence à celle-ci, docteur, dit froidement le Chef K sans le quitter une seule seconde du regard. Nous savons tous les deux que Seule la connaissance est la clé de toute vie, dit-il tout en lui faisant un clin d’œil. Et pour info, je vais personnellement m’occuper de faire fermer cet hôpital. Adieu doc, dit le Chef K accompagné de son grand sourire, signe évident qu’il était fier de la réussite de son plan.
En entendant cette phrase, le docteur Austen comprit plusieurs choses, notamment son comportement, qu’il avait jugé inconscient. Une fois la voiture de police partie, le Chef K se retourna vers son adjoint et futur adjoint.
- 80% des personnes internées ont été transférées, les autres étaient déjà mortes chef, dit l’adjoint.
- Que devons-nous faire maintenant chef ? demanda Mike.
- Fermons cet endroit pour de bon, il y a eu beaucoup trop de victimes ici, dit-il tristement.
- Malheureusement, les derniers évènements vont ternir l’image de cet hôpital et probablement des autres institutions du même genre, compléta Mike.
- Exactement. Quelle triste fin pour l’hôpital Saint Jude, lui qui, avec l’aide du docteur Austen, avait sauvé de nombreuses personnes.
- Peut-être que le fait d’avoir passé autant de temps avec ses patients a fini par le rendre fou lui-même, pensa Mike.
Le Chef K répondit simplement d’un haussement d’épaules et, ensemble, ils rentrèrent chez eux, finir le reste de la nuit chacun de leur côté.
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