Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 1 : Richa l'amnésique
1. Prologue
Le silence pesait dans
la salle du conseil, ne rendant les secondes que plus lourdes alors que
le temps s'étirait et que le retard ne cessait d'augmenter.
Il
grommela tout bas sans desserrer les lèvres mais il s'efforça de ravaler
cette contrariété sans plus en manifester les moindres traces, jugeant
que s'impatienter de la sorte en effectuant de larges va-et-vient
n'était pas réellement digne de la position qu'il occupait. Cependant,
elle avait une certaine tendance et un grand talent pour lui faire
perdre sa retenue et son calme. D'ailleurs, elle le faisait probablement
exprès, se comportant de la sorte justement pour l'agacer.
Mettant
fin à cette pénible attente, elle pénétra dans la salle et son pas
nonchalant assorti de son attitude décontractée, ne se pressant pas, ni
ne s'excusant ou se justifiant pour ce retard, confirmèrent que celui-ci
était parfaitement intentionnel, ce qui le fit grincer des dents.
Sans
le saluer, pas même un hochement du menton pour manifester un
quelconque respect, elle vint s'accouder contre l'un des braseros qui
bordaient le passage ouvert dans le sol, et la haute flamme qui brûlait
adopta une teinte noire.
D'un mouvement désinvolte, elle rejeta
l'une de ses longues mèches tressées en arrière et s'enquit sans
regarder son interlocuteur, semblant plutôt désintéressée de la
conversation alors qu'elle n'avait pas encore débutée :
« Alors, pourquoi m'as-tu fait venir si urgemment ? Et seul à seule en plus.
- J'ai préféré te parler de ce sujet en privé. Te connaissant, tu te serais plainte si je l'avais abordé devant les autres.
-
Oh, laisse moi deviner, soupira t-elle, serait-ce la grande ronde des
reproches à nouveau ? Que suis-je, aujourd'hui encore ? Trop
indisciplinée ? Trop incontrôlable ? Qui n'en fait trop qu'à sa tête ?
- Et tu en as parfaitement conscience ? Quelle insolence !
-
Ah oui ! J'ai oublié de le rajouter : trop insolente. Mais que veux-tu ?
Je suis ainsi, tu le sais aussi bien que moi, alors qu'espères-tu avec
cette scène ridicule ?
- Tu es cet horripilant éternel grain de sable
qui, lorsque je me satisfais du bon ordre de la mécanique, se plait à
tout venir dérégler.
- Je vénère ce grain de sable !
- Cesse de te gausser ! J'en ai assez que tu t'amuses à perturber l'ordre établis !
- Et que vas-tu faire ? Réorganiser à nouveau ta mécanique en me demandant d'être sage ?
- La nettoyer pour faire disparaître ce grain de sable. »
Le sourire moqueur
qu'elle affichait fut rapidement remplacé par une expression de pure
stupéfaction lorsqu'elle se sentit soudainement chuter en
arrière,entraînée par son propre poids dans le passage.
Relevant des
yeux écarquillés sur son interlocuteur alors que la scène lui
paraissait se dérouler au ralentit, elle comprit que c'était lui qui
venait de la pousser et donc de provoquer sa chute.
Sachant que
toute autre parole serait vaine, elle lui cria une insulte dont les
dernières syllabes furent englouties avec elle dans le passage.
A
l'intérieur, plus aucun son n'était audible, pourtant, elle hurlait de
douleur à s'en arracher les cordes vocales. Une douleur comme elle n'en
avait jamais expérimentée. C'était comme si quelque chose brûlait à
l'intérieur d'elle et cherchait à crever sa peau pour s'en échapper en
bouillonnant.
A force de tractions, la
poignée de la laisse échappa au maître et le chien fila dans la ruelle
vers laquelle il ne cessait d'aboyer depuis qu'ils avaient tourné sur ce
trottoir.
L'homme appela l'animal en le sommant de revenir mais il
ne lui obéit pas. Rapidement, les aboiements devinrent des gémissements.
Hésitant, l'homme s'approcha jusqu'à l'entrée de la ruelle sans oser
pour autant y pénétrer, inquiété par la nuit qui y paraissait plus
épaisse, certainement car la lumière des réverbères ne l'atteignait pas,
mais son chien ne revenait toujours pas alors, malgré le nœud s'étant
formé dans sa gorge, évoquant un mauvais pressentiment, il s'avança
parmi les ombres de la ruelle qu'il repoussa de la lueur blanche émise
par son téléphone portable.
Se guidant au son de ses gémissements,
il repéra aisément son chien qui reniflait avec insistance quelque chose
dissimulé parle renfoncement d'une porte dans le mur. Avisant son
maître, le chien jappa comme pour l'avertir.
Lorsque la lumière lui
dévoila ce qui avait ainsi alerté son animal de compagnie, l'homme
poussa un cri avant de se précipiter vers la jeune fille.
A moitié
consciente, cette dernière tenta de se relever en prenant appuis sur le
mur à côté d'elle mais, trop faible, elle s'affaissa en avant,dans les
bras de l'homme qui eut juste le réflexe et le temps de la rattraper
avant qu'elle ne s'écroule durement sur l'asphalte. La soutenant malgré
ses violents tremblements, l'homme s'efforça de la rassurer, à moins que
ses mots ne soient destinées à apaiser son propre affolement.
La
jeune fille fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il lui disait,
puis, peu à peu, un sens apparu derrière ses mots mais, au lieu de
l'éclairer, cela ne fit que renforcer sa perplexité.
Pourquoi devait-elle garder son calme et ne pas paniquer ?
Rien ne lui semblait inquiétant dans les alentours.
Et quelle était cette ambulance qu'il voulait prévenir ?
Une onde de douleur traversa son crâne à ces questionnements. Sa tête lui faisait mal.
Avec
une grimace, elle porta une main à son front et ce fut alors que son
bras entra dans son champ de vision et elle saisit que, au contraire,
elle avait toutes les raisons de s'affoler.
Du sang, elle était
intégralement couverte de sang, d'ailleurs, son odeur métallique
saturait ses narines alors qu'elle prenait conscience de son état. Il
s'étendait en large taches sur le tissu initialement blanc de sa chemise
en l'imbibant, fonçait le bleu de son jeans, collait entre elles ses
longues mèches de cheveux noirs et rougissait toute sa peau. Quelle que
soit la parcelle de son corps qu'elle étudiait, elle ne voyait que du
sang, partout.
Un hurlement d'effroi jaillit de sa gorge et elle
tenta de se nettoyer de tout ce sang en se frottant. Elle ne supportait
d'être ainsi recouverte de tout ce rouge, mais c'était en vain.
La
saisissant fermement par les épaules, l'homme s'efforça de la calmer,
craignant qu'elle ne se blesse, mais son intervention eut plutôt l'effet
inverse, et elle se débattit en criant toujours, avant de se laisser
lourdement tomber à terre dans un sanglot alors que le son strident des
sirènes se rapprochait de leur position.
En plus de l'ambulance, une
voiture de police s'arrêta à proximité de la ruelle et l'homme alla
s'entretenir avec les deux agents qui en descendirent pendant que trois
secouristes se précipitaient auprès de la jeune fille, qui observait ce
qu'il se passait autour d'elle de grands yeux écarquillés, les bras
resserrés autour de son corps tremblant. S'agenouillant à côté d'elle en
commença à délicatement l'examiner, une femme lui demanda comment elle
se sentait, si elle avait mal quelque part, si elle l'entendait,
vérifiant son état, mais elle fut incapable de répondre, probablement à
cause du choc.
Cependant, elle comprit que c'était plus profond que
cela car elle s'aperçut qu'elle était incapable de dire ce qu'il lui
était arrivé ou encore d'où elle venait, impossible de faire revenir le
moindre souvenir. Plus grave encore, lorsque l'un des ambulancier
l'interrogea sur son prénom, elle ouvrit naturellement la bouche mais
elle la referma en secouant la tête de gauche à droite,ignorant comment
elle se nommait.
Durant le trajet en ambulance,allongée sur une
civière, elle fouilla désespérément sa mémoire à la recherche d'une
image, d'un mot, d'un visage, mais elle ne put que constater qu'elle
était entièrement vide et des larmes de frustration lui échappèrent.
« Bonjour, Cathleen
Aciari (le médecin releva le regard sur la femme qui lui faisait face et
plus particulièrement sur le badge qu'elle brandissait). On m'a chargé
de l'enquête sur la jeune fille qu'on vous a amené dans la nuit, il y a
trois jours.
- Ah, notre inconnue. Que voulez-vous savoir ?
-
Tout. Je manque cruellement d'indices. Aucune disparition correspondant à
son signalement n'a été signalée, ses empreintes n'ont rien donné. En
bref, on est dans le flou total.
- Je ne sais pas si je vais
pouvoir vous en apprendre plus. Elle a environ douze ou treize ans, elle
a une bonne constitution et elle est en bonne santé, hormis sa mémoire.
Elle ne se souvient absolument de rien. On a d'abord pensé que c'était à
cause d'une blessure à la tête mais on n'a trouvé aucune trace de
trauma, alors nous sommes en train d'explorer la piste psychologique.
-
Vous pensez qu'elle a subit un événement si traumatisant qu'elle l'a
occulté de sa mémoire ? C'est assez logique, vu l'état dans lequel on
l'a retrouvé...
- Et bien, en général, ce type d'amnésie ne concerne
que ce qui est lié à l'événement traumatisant en question, là, elle n'a
pas le moindre souvenir.
- Peut-être qu'elle ment.
-
Personnellement, je ne pense pas. Ah, et pour ce qui est du sang,
puisque vous en parlez, il semblerait, après analyse, que ce soit le
sien.
- Mais je croyais qu'elle n'était pas blessée.
- Je sais. On
n'a pas trouvé la moindre égratignure sur elle et elle ne souffrait
d'aucune anémie, pourtant, elle était couverte de son propre sang.
- Mais c'est impossible ! Je veux dire, c'est vraiment bizarre.
-
Si vous voulez du bizarre, regardez un peu ça (le médecin tendit
plusieurs photographies à la policière qui les examina. Toutes étaient
des plans rapprochés, l'une sur une oreille allongée, l'autre sur une
dentition aux canines anormalement longues et la dernière sur un œil au
vert bien trop intense pour être naturel). Elle a une malformation des
oreilles, une surproduction de calcium qui déforme ses dents, c'est ce
qui a inspiré Bram Stoker, et la couleur de ses yeux est causée par un
défaut de pigmentation qui s'accompagne normalement d'une
hypersensibilité de la rétine. Pourtant, on n'en retrouve aucune trace
aux niveau génétique. On a refait les analyses trois fois. En plus, en
général, ça s'accompagne d'autres tares mais elle ne souffre que de ces
trois là.
- Mais c'est impossible normalement, c'est ça ?
- A
priori, oui. Et regardez ça, pour terminer (le médecin tendit une
nouvelle photographie. On y voyait le dos de l'adolescente inconnue,
dégagé de ses longs cheveux, sur lequel d'étranges symboles se
déroulaient le long de sa colonne vertébrale). Alors ?
- Elle est jeune pour être tatouée, mais ça me fait une piste à suive. C'est bizarre, on dirait des lettres...
- Si c'est le cas, j'ignore de quel alphabet.
- Vous pensez la garder ici pendant combien de temps ?
-
Autant que nécessaire mais, si sa situation reste la même, elle ira
sûrement en foyer et il faudra peut-être lui trouver une famille
d'accueil.
- Très bien. Tenez moi au courant si il y a quoi que ce
soit (elle baissa le regard sur les clichés qu'elle tenait toujours). Je
lèverai le mystère à ton sujet, mademoiselle l'inconnue. »
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