Futurs Révolus

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Futurs Révolus

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Atmann BONNAIRE


1. Mazuku

Le réveil retentit à quatre heures et demie et tira Piotr d’un sommeil lourd, sans rêves. Il faisait encore nuit dehors. Pour lui, malvoyant de naissance, il faisait juste un peu plus sombre que la moyenne. À vrai dire, la lumière n’atteignait plus que les êtres vivants des cimes. Pour les autres, cantonnés au plancher des vaches, les rayons du soleil devenaient lavasses de jaune et d’ocre, ôtés de leur substance lorsqu’ils tentaient de percer le vog.

Piotr se leva, enfila son t-shirt et son caleçon et se glissa en silence dans sa combinaison Hazemat. Il testa son détendeur et respira une bouffée d’air bien plus frais que celui qui filtrait dans la chambre à coucher. Il commençait toujours le travail très tôt le matin, à une heure où sa femme et ses deux enfants dormaient profondément, afin d’éviter les chaleurs torrides de la journée. Il sortit en silence de son appartement et descendit au rez-de-chaussée de l’immeuble. Il soupesa la bouteille pour s’assurer qu’il avait assez d’autonomie pour rejoindre son lieu de travail, inspira profondément, composa le code secret pour désactiver temporairement l’alarme et poussa la lourde porte blindée pour se jeter dans l’enfer désertique de la rue. Il connaissait de mémoire chaque pas qui le séparait de l’arcologie numéro dix-huit. Il marchait très vite, balayant l’espace devant ses pieds avec sa canne. Ce matin-là, comme beaucoup d’autres, il ne rencontra personne sur son chemin, il s’arrêta juste une fois pour laisser passer un taxi électrique. Arrivé au pied du gratte-ciel, il leva la tête sous la caméra de surveillance et attendit le cliquetis du verrou pour pénétrer dans l’abri. Il salua le garde, c’était Mr Gowan et son parfum camphré aujourd’hui. Piotr ferma la porte derrière-lui. Il attendit à nouveau le cliquetis de sécurité ainsi que l’assentiment de Mr Gowan pour se rendre dans la cage d’escalier. Son bureau se trouvait au septième étage dans le local technique de l’arcologie. Il ôta son détendeur puis le masque de sa combinaison et se mit au travail.


Piotr travaillait seul la plupart du temps. Parfois, lorsque la situation dégénérait à l’extérieur, il échangeait avec le personnel de sécurité cantonné au rez-de-chaussée et, encore moins souvent, il lui arrivait de monter dans les cimes pour s’occuper des locataires. Dans les fondements de l’arcologie, sous la chape du vog, il n’y avait aucun logement. Il partageait les lieux avec des organismes microscopiques silencieux chargés de la dépollution des eaux usées et, pour tromper le silence, il écoutait la radio. Ce matin, l’intendant prit son petit-déjeuner en écoutant le bulletin météorologique. La situation était critique, l’absence de vent et la dernière éruption plongeaient la ville dans une purée de poix encore plus toxique qu’épaisse. Il n’y avait pas à attendre d’amélioration avant une bonne semaine. Le vog, comme l’appelaient les scientifiques, grimpait l’immeuble centimètre par centimètre, il atteignait maintenant le onzième niveau. Encore bien loin du niveau des habitations, il chatouillait tout de même les premiers arbres. Tous s’accordaient pour dire qu’il se stabiliserait de lui-même bien en aval du niveau critique des arcologies mais Piotr n’y croyait pas une seconde. Chaque jour de nouveaux foyers d’éruption naissaient et les vents s’essoufflaient de plus en plus. Il était convaincu qu’un jour viendrait où les privilégiés des cimes seraient plongés dans les gaz à leur tour, comme 90 % des humains encore en vie sur Terre.

Ses trois tartines de pain avalées, Piotr commença sa ronde. Il débutait toujours par la salle des capteurs de dioxygène et de dioxyde de carbone, s’assurant de l’absence de fuites dans le bâtiment. Il enchaînait par le système photovoltaïque puis par les circuits de retraitement des eaux. Il connaissait l’arcologie comme le dos de sa main et progressait de poste en poste en touchant, écoutant ou sentant. Des systèmes de bippeurs à différentes fréquences l’informaient aussi précisément que s’il avait pu voir et son odorat très fin l’avertissait qu’un problème se profilait.

Ce matin tout allait bien, le bilan énergétique était positif et l’intégrité de la carapace était assurée, il en informa Mr Gowan par l’interphone et retourna dans son bureau...


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