contes & légendes pour un petit Breton: La veillée au coin du feu

contes & légendes pour un petit Breton: La veillée au coin du feu

Francois Deux


1. La veillée



Tu sais, je suis perdu dans cette époque de technologie, de voitures électriques, de smartphones et d’internet.

A chaque fois que je tente de m’y intéresser ou de bricoler quelque chose avec un ordinateur, il y a un beugue. Ou un virus, ou je ne sais trop quoi.

C’est comme si la modernité ne voulait pas de moi…

Oh ! Tu crois que je ne t’ai pas vu tenter de camoufler un petit sourire moqueur ?

Oui, oui ! Tu te moques…

Petit chameau !

Ah… Tu as bien raison.

Je suis un vieux pépé, maintenant.

Mais tout chenu que je suis, même si je ne comprends rien de ces temps bien troubles ou tout fout le camp, j’en ai plein la caboche, de choses, de souvenirs et d’images d’avant.

size='3'>Pose donc un peu ton biniou qui te brûle les yeux et la cervelle et prend le temps de vivre. De vivre vraiment !

Assied-toi. Je vais t’emmener là où jamais tu ne pourras te rendre….

Il n’y a pas si longtemps, avant que la télévision n’encombre chaque maison, les gens se retrouvaient, au coin du feu, pour des veillées. Des conteurs se rendaient de villages en hameaux, de bourgades en chaumines, colporter les informations, les nouvelles, mais aussi des histoires et des légendes venues d’il y a très longtemps.

Lors de ces veillées, enfants comme adultes étaient pendus aux lèvres de ces narrateurs mystérieux. Oui, parfois, ils étaient bien étranges.

Ils ne venaient de nulle part, ni n’allaient nulle part, arpentant les routes et les chemins creux en haillons. On s’écartait sur leur passage, mais non sans les avoir respectueusement salués… Oui, on les respectait et les portes des masures leurs étaient toujours grandes ouvertes.

Gardiens de la tradition orale, comme les bardes de l’ancien temps, ils véhiculaient un savoir qui s’est presque dilué dans les limbes de l’oubli.

Presque…

Ecoute…

La pluie tombe dru. Une grise et lourde pluie d’automne qui a duré toute la journée. Après une journée passée dans les champs, Joseph Poidevin est content de retrouver la chaleur de son foyer et une grande assiettée de soupe brûlante que lui a préparé son Estelle.

Les bourrasques font craquer l’unique et petite fenêtre tandis que le feu s’agite dans l’âtre surélevé sur sa margelle de pierre.

Les enfants, Thérèse et deux petites cousines, jouent et se chamaillent dans le lit clos.

Sitôt le diner terminé, Joseph rejoint son aimée sur les coffres-bancs, de chaque côté de la cheminée où, dans le conduit, fument tranquillement des chapelets de saucisses.

Elle tricote avec assiduité et concentration alors que Joseph reprend silencieusement son tressage de paniers en osier.

Les bûches se consument lentement en fumant et en brasillant, les braises rougeoyantes avivées par les courants d’air provenant du conduit noir comme l’enfer.

Les esprits s’échauffent dans le lit clos.

Alors que Joseph se lève pour appliquer une cuisante sanction à la marmaille, trois coups puissants résonnent à la porte.

Estelle sursaute.

Mais qui peut bien frapper à une heure pareille ? Et qui peut bien traîner sur les routes par ce temps de chien ?

En parlant de chien… Fleurette n’a même pas aboyé. S’est-elle enfuie ?

-Qui est là ? gronde le père Joseph d’une voix forte, fâché d’être interrompu dans son élan.

-Un voyageur bien trempé qui ne demande qu’un instant auprès de votre feu, réponds une voix étouffée.

Joseph hésite, lorgne un instant le fusil accroché au mur, toujours à portée de main.

Mais non. Pas besoin. Si c’est un maraudeur, il lui passera l’envie de marauder grâce aux battoirs qui lui servent de mains.

Il ouvre la porte sur le déluge et sur l’étranger.

C’est un vieux mendiant, un pauvre hère trempé-guené, transi et fatigué qui se tient dans l’encadrement de la porte.

La fleurette est là, elle aussi, sous l’averse battante, le poil détrempé, le regard doux, escortant le voyageur. Etrange qu’elle n’ait rien dit. Ce n’est pas dans ses habitudes. L’étranger doit être un brave homme pour qu’elle ne signale pas son approche.

-Entrez, mon brave, lui dit Joseph. Venez donc vous réchauffer près du feu. Je vais ajouter quelques bûches, invite poliment Joseph en lui prenant son bâton de marche.

Dans le lit clos, plus un bruit. Les enfants doivent épier la scène depuis les portes coulissantes ouvragées.

Estelle lorgne l’importun d’un œil méfiant.

Ses hardes dégoulinent sur le sol de terre battue et son chapeau à large bord est à tordre. Lorsqu’il l’enlève pour la saluer, c’est pour dévoiler une abondante et longue chevelure argentée et un regard affable mais acéré que l’âge n’a su affaiblir.

-Pardonnez à un vieil homme, le dérangement à cette heure si tardive, ma bonne dame. Je souhaite juste me réchauffer un brin à votre bonne flambée.

Estelle s’adoucit en constatant la politesse et la mine débonnaire du pauvre homme.

Elle se lève et va chercher dans l’énorme marmite au cul noir, un bol en grès, qu’elle remplit de soupe encore bien chaude et lui glisse dans les mains alors qu’il s’assoit auprès du feu.

-Merci, ma bonne dame, mille mercis. Dieu vous bénisse.

Le mendiant semble tellement heureux de ce réconfort…

-Alors mon brave, quel est votre nom ? lance Joseph, histoire de faire la conversation.

-On m’appelle Mathurin. Mathurin le fabliau.

- Et vous venez d’où comme ça, à pas d’heure, Mathurin ?

-Oh… Eh bien… Je ne sais pas trop… Je suis passé par les chemins… De Sainte-Reine, je crois…

-Eh, ça vous fait une petite trotte par ce temps et par cette nuit sans lune. Et ou allez-vous donc ?

- … Je ne sais pas… Là où le Bon Dieu voudra bien mener mes pas. Vous êtes de bien braves gens. Jamais je ne pourrais vous récompenser de cette hospitalité si généreuse.

-Allons, allons, c’est de bon cœur. Mangez donc, réchauffez-vous, reposez-vous.

Le vieil homme sombre alors dans un long silence pensif, tout en buvant sa soupe a petite gorgée, ses mains ridées entourant le bol de terre cuite à la recherche de chaleur.

Comme il doit être bien malheureux, le pauvre hère, pense Joseph. Sans logis, sans famille, à courir les chemins boueux, perdu dans le bocage…

Pris de pitié, il se lève, et sort de la huche à pain un gros pain de six livres dans lequel il découpe un bon morceau et qu’il tend au mendiant.

-Tenez, Mathurin, mettez cela dans votre soupe. Ça vous tiendra plus longtemps au corps. Vous repartirez au matin, lorsque votre paletot sera sec. Nous n’avons point de lit, mais le grenier vous permettra de dormir au sec.

Le vieillard relève le nez et regarde son hôte d’un œil incrédule qui se met à briller d’enthousiasme et de gratitude.

size='3'>-Merci, mon bon monsieur, merci !

-Allons ! Point de merci, point de monsieur. Je me nomme Joseph Poidevin. Ma tendre femme Estelle, et les trois pisouses qui nous espionnent alors qu’elles devraient être endormies : ma fille Thérèse et ses cousines, Annick et Philomène.

-Vous avez une bien gentille famille, monsieur Joseph. Mais puis-je me permettre…?

-Allez -y, permettez !

-Puisque ma bourse est vide et puisque les enfants ne sont point encore au pays des songes, peut-être pourrais-je alléger ma dette auprès de vous en racontant quelques belles histoires de ma connaissance?

Joseph regarde sa femme, guettant son assentiment. Celle-ci esquisse une ombre de sourire et hoche la tête.

¬-Allez-y donc, Mathurin Le fabliau. C’est donc un surnom que ceci !

A ces mots, les trois fillettes font coulisser les portes de bois du lit-clos et s’égaillent en braillant dans la pièce, folles de joie, en chemise de nuit et les cheveux en bataille.

Mais bien vite, elles se calment, pressées d’entendre les contes du vieux Mathurin et s’assoient sur les coffres-bancs auprès des parents alors que Joseph tisonne et ravive les braises dans l’âtre de pierre.

Lorsque l’on entendit plus que l’ondée sur les ardoises et le crépitement du feu, Mathurin commença…


Commentaires (0)