MOSI

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MOSI

MOSI

FAUSTIN YAVO


1. Chapitre 1

Il n'avait pas plu dans la région depuis très longtemps. Les paysans désespéraient de voir la pluie tomber. À perdre leurs récoltes et leurs troupeaux, ils s'appauvrissaient. Ils scrutaient le ciel à l'affût du moindre nuage. Ils espéraient de l'eau à la vue de ceux qui apparaissaient. Mais il n'y avait rien à part le soleil qui frappait très fort et des nuages stériles. La terre renvoyait de la chaleur. Les rares amas nuageux qui passaient ressemblaient à de blancs moutons qui allaient paître ailleurs qu'au-dessus des populations. Il pleuvait mais pas dans la région. Les nuages s'éloignaient ou se dissipaient sans faire tomber la moindre goutte d’eau !

Il faisait chaud. Le vent était sec. Le feuillage des arbres prenait des couleurs rouille et jaune. Les feuilles se racornissaient. Les plantes avaient soif ! Le sol desséché dessinait des craquelures. Il craquait sous les pas. La faim et la famine guettaient. Nombreux étaient les paysans qui avaient mis la clef sous la porte. Ruinés. Beaucoup parlait de malédiction ou de sacrifices à faire. De rituels à accomplir. Des chants. Des danses. Dans la chaleur étouffante et dans la poussière. Ils invoquaient la puissance des gris-gris, des fétiches et des esprits. L'Eglise avait fait des processions et des messes étaient dites dans les chapelles. Il manquait d'eau dans les bénitiers. Les imams avaient réuni les fidèles et ensemble, ils avaient prié pour que la pluie tombe. L'eau des ablutions se faisait rare. Le gouvernement luttait contre l'avancée des déserts en plantant des arbres et en interdisant la culture sur brûlis. Mais le ciel indifférent couvait toujours des nuages aussi stériles les uns que les autres. Il ne pleuvait pas.

Mandaray Alhani était un homme politique et un capitaine d'industrie. Il brillait par son absence à l’Assemblée nationale. Mais sa richesse était connue dans le pays. Il avait fait fortune grâce à des plantations de cannes à sucre et des raffineries qu'il avait installées dans la région. Le sucre se vendait bien. Mais le manque d'eau lui faisait perdre beaucoup d'argent. Et cela, le capitaine d'industrie ne le tolérait pas. Il dépérissait à la vue de ses machines agricoles, des tracteurs et des moissonneuses batteuses, à l'arrêt. Ses usines tournaient mais au ralenti. Les ouvriers étaient au chômage technique. Les factures et les impayés s'accumulaient. Les huissiers se pressaient pour encaisser les retards de paiements de nombreux crédits. C'étaient des récoltes entières que l'industriel perdait à cause des caprices du temps comme il disait. Les médias parlaient de dérèglement climatique.

Il ne pleuvait pas.

- Quelqu'un a fermé les écluses dans les cieux ! déplorait le capitaine d'industrie.

Mais il n'était pas un homme à se laisser faire, à baisser les bras. Même face aux sécheresses répétitives ! Il ne reculait pas. Il décida de se battre. Ses plantations de cannes à sucre verdiraient, les ouvriers travailleraient, les machines agricoles ne seraient plus à l'arrêt et il gagnerait beaucoup d'argent à nouveau. Il arriverait à faire taire les caprices du temps et à mettre ce dernier sur les bons rails. Il parcourrait le pays et ses régions en quête de solutions et il trouverait la bonne. Il vaincrait le dérèglement climatique !

Il réunit les meilleurs experts en matière de climat et ils recherchèrent les réponses à apporter. Les ingénieurs météorologues lui apprirent qu'il était possible de faire pleuvoir sur des zones arides en ensemençant les nuages avec des cristaux de sels, des noyaux de condensation. Mais il fallait de l'argent car cela nécessitait aussi de louer un avion à double hélice.

Mandaray accepta le plan et aussitôt les nuages au-dessus de ses plantations furent ensemencés. Le résultat fut en-deçà des espérances. Il plut sans vraiment pleuvoir ! Juste assez pour ne pas pleurer. Mandaray congédia les ingénieurs météorologues. Animiste de convictions, il se retourna vers la plus redoutable sorcière du pays qui lui recommanda un rituel sacrificiel terrible et horrible. Pour que la pluie tombe à nouveau ! Pour que les populations soient sauvées de la sécheresse ! Que l'argent coule à flots ! Quelqu'un devait mourir. Il fallait commettre un crime de sang et apporter au fétiche des organes précis. Alors, il pleuvrait ! sur la région. Sur les plantations ! Mandaray aurait toute l'eau qu'il voudrait mais ce dernier refusa tout net. Catégoriquement. Pas question de commettre un meurtre ! Il s'en alla.

Mais la flèche avait été décochée. Elle avait touché sa cible. Le poison fit effet ! Ce fut sur les bancs de l’Assemblée nationale que le député prit sa décision après une conversation avec un de ses collègues qui lui avoua qu'il le verrait bien au poste de ministre de l’Industrie et du commerce, dans le prochain gouvernement, s'il arrivait à se maintenir aux prochaines élections législatives et qu'il redressait son entreprise sucrière, qu'il la sauvait de la faillite !

L'annonce le désarma. Il fut vaincu. Il revit la prêtresse qui exigea cinquante mille dollars américains pour payer un homme de confiance et soudoyer un garde. L'esprit du fétiche avait déjà désigné la personne à sacrifier. Cette personne était la cause du mal qui frappait toute la région, fit-elle savoir. La détruire reviendrait à rétablir l'équilibre pluviométrique. Mandaray serait tenu à l'écart. Il ne serait pas inquiété. Il resterait dans l'anonymat. Cinquante mille dollars. Une fortune ! Il ne lui restait plus qu'à croiser les doigts pour que le sacrifice soit accepté et qu'il pleuve longtemps –comme il faut- sur toute la région ! Il deviendrait ministre de l’Industrie et du commerce et serait à la tête d'un monopole sucrier. Il deviendrait richissime et un homme extrêmement puissant. Et jeune car il n'avait pas encore la quarantaine. Il pourrait même devenir le Président de la République s'il menait bien sa barque.

Il paya et la sorcière se mit à la besogne. Elle trouva cet homme de confiance à l'autre bout du pays. Quelqu'un qui avait reçu des rudiments de sorcellerie. Elle ne l'avait jamais trouvé doué ni intelligent et il ne fut pas difficile à convaincre. Au début, il hésita car la tâche était rebutante et dangereuse. Elle n'était pas mince. La victime était une fleur dans des ronces. Mais il finit par accepter.

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